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ARMINIUS.

formateurs, ou toutes les fois qu’il se voyait appelé à répondre à des disputans, il aurait tenu une conduite parfaitement sage et apostolique, et il aurait employé comme il fallait les lumières de son esprit. S’il trouvait des duretés dans la doctrine ordinaire, s’il se trouvait soulagé en adoptant une méthode moins rigide, il pouvait se mettre au large pour son usage particulier ; mais il devait jouir de cette commodité en silence, je veux dire sans attaquer les droits de la possession, puisqu’il ne les pouvait attaquer sans que des tempêtes périlleuses s’excitassent dans l’église. Son silence lui eût épargné à lui-même bien des maux ; il eût très-bien fait de se souvenir d’un vieux apologue :

Sed tacitus pasci si posset corvus, haberet
Plus dapis et rixæ multò minùs invidiæque [1].

Voyez la remarque (D) de l’article de (Joseph) Hall.

Mais, dira-t-on, n’eût-il pas été prévaricateur, et indigne du ministère, s’il eût négligé de travailler à l’instruction de ses auditeurs, qu’il croyait engagés dans une fausse doctrine ? Il faut répondre que deux raisons capitales le dispensaient de parler : l’une, qu’il ne croyait pas que l’hypothèse qu’il désapprouvait fût préjudiciable au salut ; l’autre, que sa nouvelle méthode était inutile pour lever les principales difficultés qui se rencontrent dans les matières de la prédestination. Avouons que la plus petite vérité est digne, absolument parlant, d’être proposée, et qu’il n’y a point de fausseté, pour si peu considérable qu’elle soit, dont il ne vaille mieux être guéri, que d’en être imbu ; mais lorsque les circonstances des temps et des lieux ne souffrent pas que l’on propose des nouveautés, vraies tant qu’il vous plaira, sans causer mille désordres dans les universités, dans les familles, dans toute la république, il vaut cent fois mieux laisser les choses comme elles sont, que d’entreprendre de les réformer. Le remède serait pire que le mal : il faut se conduire comme à l’égard de certains malades, à qui l’on ne saurait faire prendre de médecines sans remuer plusieurs mauvaises humeurs dont l’agitation est plus pernicieuse que la coagulation [2]. J’excepte les cas où il y va du salut des âmes, et où il s’agit de les arracher de la gueule du démon ; car alors la charité ne doit pas permettre que l’on se tienne en repos, quelque grandes que puissent être les émotions que l’on causera par accident. Il faut se remettre de toutes ces suites aux soins de la providence. Sur ce pied-là, Arminius n’avait rien qui le pressât de s’opposer à la doctrine commune : il ne croyait pas que l’on courût aucun risque de son salut en suivant les hypothèses de Calvin. Voyons l’autre endroit par où il se rendit inexcusable. Il substituait, à un système rempli de grandes difficultés, un système qui, à proprement parler, n’en entraîne pas de moins grandes. On peut dire de son hypothèse ce que j’ai dit des innovations de Saumur [3] : elle est mieux liée et plus dégagée que le sentiment de M. Amyraut ; mais, après tout, c’est un remède palliatif, car à peine les arminiens ont-ils répondu à certaines objections, qui ne peuvent être réfutées dans le système de Calvin, à ce qu’ils prétendent, qu’ils se trouvent exposés à des argumens dont ils ne se peuvent tirer que par un aveu sincère de l’infirmité de notre esprit, ou que par la considération de l’infinité incompréhensible de Dieu. Était-ce la peine de contredire Calvin ? Fallait-il tant faire le délicat au commencement, puisque dans la suite on devait avoir recours à cet asile ? Que ne commenciez-vous par-là, puisqu’il y fallait venir tôt ou tard ? Vous ne devez pas vous imaginer, qu’après être entré en lice avec un grand disputeur, il vous laissera triompher, sous prétexte que vous aurez eu d’abord quelque avantage sur lui. Un athlète, qui, au tiers ou au milieu de la carrière, devançait son antagoniste, ne méritait point pour cela d’être couronné ; on ne lui donnait la couronne, qu’en cas qu’au bout de la course il eût gagné l’avantage. C’est la même chose dans les controverses : il ne

  1. Horat., Epist, XVII, lib. I, vs. 50.
  2. Expediebat quasi ægræ sauciæque Reipublicæ requiescere quomodocunque ne vulnera curatione ipsâ rescinderentur. Florus, lib. III, cap. XXIII.
  3. Voyez ci-dessus la remarque (E) de l’article Amiraut.