Page:Bayle - Dictionnaire historique et critique, 1820, T02.djvu/413

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
403
ARNAULD.

d’écuyer du Goliath Pierre Jurieu (L) ; on a dit qu’il avait été banni de France (M), et qu’il avait fait l’Apologie pour les catholiques, afin de recouvrer ses bénéfices (N) ; on lui a imputé plusieurs livres qu’il n’avait point composés (O) : j’en marquerai quelques-uns, et je ne doute pas que l’on n’en puisse indiquer bien d’autres. On a imputé son silence à une fausse raison (P) ; on lui a donné des lunettes, et un valet infidèle (Q). Les principaux livres qu’il a faits depuis sa sortie de France concernent le système de la nature et de la grâce du père Mallebranche, le péché philosophique, la morale pratique des jésuites [* 1], et quelques propositions de M. Steyaert. Il s’est battu vigoureusement contre le père Simon dans ce dernier livre, soit pour le Nouveau Testament de Mons, soit touchant l’inspiration des auteurs sacrés et les versions de l’Écriture en langue vulgaire (R), soit en faveur des attestations des Grecs (S), etc.

Il mourut la nuit du 8 au 9 d’août 1694, âgé de quatre-vingt-deux ans, six mois et deux jours. Il reçut du ciel dans cette grande vieillesse deux faveurs insignes et tout-à-fait rares ; car la maladie dont il mourut ne dura qu’une semaine, plus ou moins, et ne l’empêcha pas de dire la messe ou de l’entendre, et de réciter son bréviaire à peu près aux heures ordinaires [a]. Son agonie fut douce, tranquille, courte. Il eut d’autre côté, autant de force d’esprit, et de mémoire, et de plume, la dernière année de sa vie, qu’à l’âge de quarante ou de cinquante ans. Ce sont deux bonheurs qui arrivent à peu de personnes de lettres. Il avait écrit peu de mois avant sa mort quatre lettres contre le père Mallebranche [b], et une lettre à M. du Bois, son ancien ami, toute remplie de réflexions sur l’éloquence des prédicateurs [c]. Le public a vu ces derniers ouvrages, et n’y a trouvé aucune marque d’un esprit diminué. M. du Bois ne survécut guère ni à sa réception à l’académie française, ni à la lecture des Réflexions [* 2], où il avait pu apprendre qu’il n’avait rien entendu dans la doctrine de saint Augustin touchant l’éloquence de la chaire [d]. Je ne sais si le public verra jamais ce que M. Arnauld écrivit environ le même temps [* 3] en faveur de M. Despréaux (T), mais je ne doute point que cette lettre ne soit admirable. Il y a un autre bonheur à considérer dans sa vie, et qui surpasse ceux que j’ai

  1. * Comme le remarque Leclerc, Bayle lui-même a transcrit dans sa remarque (O), n°. ii, un passage où Arnauld désavoue cet ouvrage.
  2. * Leclerc dit que Dubois mourut avant que le manuscrit d’Arnauld fût arrivé à Paris.
  3. * Joly reproche à Bayle d’avoir dit que cette lettre était adressée à Despréaux, tandis qu’elle l’était à Perrault en faveur de Despréaux. Bayle, qui ne dit pas à qui elle est adressée, n’a pas pu se tromper d’adresse, comme le prétend Joly ; et, de plus, il indique, ce qui était suffisant, en faveur de qui était cette lettre.
  1. Histoire abrégée de M. Arnauld, p. 279.
  2. Voyez le Journal des Savans, du 28 juin 1694 et les suivans.
  3. Histoire abrégée de M. Arnauld, pag. 294.
  4. Ce qu’il avait dit sur cela se trouve dans la préface de sa traduction française de quelques Sermons de saint Augustin. Voyez le Journal des Savans du 7 juin 1694.