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ARNAULD.

de mon ouvrage [a] une lettre que l’on supposa que le roi lui écrivit l’an 1678. Au reste, ceux qui furent cause qu’il prit la résolution de s’exiler volontairement y ont plus perdu que gagné ; car il n’eût rien écrit contre eux dans Paris : il eût observé en cela les conditions de la paix ; au lieu que, se voyant hors du royaume, il a publié un fort grand nombre d’écrits, qui ont fait beaucoup de tort aux jésuites [b]. On prétend même qu’il est devenu l’apôtre du jansénisme en Hollande (EE).

  1. Voyez la remarque (A) de l’article Ypres. [C’est à la lettre I, comme si l’on écrivait Ipres, qu’il faut chercher cet article.]
  2. Voyez l’Histoire abrégée de sa vie, pag. 179.

(A) Il est fils d’Antoine Arnauld l’avocat. ] Cette filiation est sans doute l’origine de la grande haine des jésuites pour M. Arnauld, et de M. Arnauld pour les jésuites. L’auteur de la Question curieuse [1] ne m’en désavouera pas tout-à-fait, puisqu’il parle ainsi [2] : M. Arnauld vint au monde le 6 de février l’an 1612, et eut pour père M. Antoine Arnauld, si célèbre dans le barreau, et connu dans l’histoire des jésuites par le fameux plaidoyer qu’il fit contre eux pour l’université de Paris, en 1594... Par la raison que je viens de dire, M. Arnauld naquit avec un second péché originel, que nul sacrement ne peut effacer, et le crime du plaidoyer ayant rendu le père calviniste et ministre de l’Antechrist dans l’esprit des jésuites [3], quoique toujours bon catholique et bon chrétien partout ailleurs, le fils ne pouvait manquer de naître à leur égard enfant de colère, et d’être hérétique, et pis encore, avant que d’être chrétien. L’un des protestans qui ont écrit contre l’Histoire du Calvinisme de M. Maimbourg, a cru que la haine de M. Arnauld pour les jésuites était une haine d’éducation. Voici ses paroles [4] : Je l’ai autrefois compare à Annibal trop opiniâtrément persécute par les Romains [5] : je ne sais si je ne pourrais pas le comparer au même Annibal promettant à son père dès ses plus tendres années, qu’aussitôt qu’il serait en âge de porter les armes, il ferait la guerre à ces mortels ennemis de sa patrie. On sait que M. Arnauld est fils de ce célèbre Antoine Arnauld, avocat au parlement de Paris, qui plaida si éloquemment pour l’université contre les jésuites, l’an 1594, et qui n’oublia rien pour persuader aux juges, qu’il ne fallait point les souffrir dans le royaume. Cette action le rendit odieux à toute la société, autant ou plus que la société ne lui était odieuse. Il est fort apparent qu’il inspira à ses fils les sentimens qu’il avait pour les jésuites ; au moins, est-il bien certain qu’en cela ils n’ont point dégénéré de la vertu de leur père.

(B) Il fit soutenir des thèses, où il témoigna d’une manière fort remarquable sa bonne foi, sa docilité, son humilité. ] « À la fin du cours de philosophie, qu’il régenta au collége du Mans dans l’université de Paris, il fit soutenir des thèses à plusieurs de ses écoliers : entre lesquels étaient le sieur Barbey, depuis célèbre professeur de philosophie dans la même université, et M. Wallon de Beaupuis, ecclésiastique de Beauvais, d’une grande piété, qui vit encore, et qui a laissé ce fait par écrit. Ce dernier soutenant ses thèses le 25 juillet 1641, M. de la Barde, savant prêtre de l’Oratoire, alors chanoine de l’église cathédrale de Paris, y dispusta, et poussa si vigoureusement son argument, que le professeur fut obligé de venir au secours de

  1. Voyez dans le texte de cet article, citation (h), quel livre c’est.
  2. Pag. 12.
  3. Voyez la remarque (D) de l’article d’Antoine Arnauld l’avocat.
  4. Nouvelles Lettres sur le Calvinisme de Mainib., pag. 125.
  5. C’est dans la Ve. Lettre de la Critique générale, pag. 98. Quand je me figure ce grand homme réduit à la dure nécessité de se cacher, je songe au fameux Annibal, et aux dernières paroles que les injustes persécutions des Romains lui arrachèrent : Liberemus diuturnâ curâ populum Romanum, quandò mortem senis expectare longum senseat. Tite-Live, lib. XXXIX.