Page:Bayle - Dictionnaire historique et critique, 1820, T02.djvu/421

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
411
ARNAULD.

nauld ne croit pas qu’on se doive jamais donner la peine de réfuter. Voici ses paroles [1] : L’intérêt de l’honneur peut être regardé en deux manières, ou par rapport à la calomnie en soi, qui d’elle-même serait atroce, ou par rapport à ceux qui, pouvant en être prévenus, auraient ensuite très-méchante opinion de la personne calomniée. C’est proprement ce dernier rapport qui oblige à s’en défendre ; car quelque énormes qu’elles fussent, on les pourrait négliger, si elles étaient de telle nature, qu’il n’y eût point de personne sage qui y pût ajouter foi. Par exemple, ce que feu M. de Maupas, évêque d’Évreux, avait dit autrefois, qu’il avait appris d’un sorcier converti, que M. Arnauld avait été au sabbat, et que les diables avaient admiré la harangue qu’il y avait faite, était en soi une horrible calomnie ; cependant aurait-on voulu que, si quelque brouillon avait mis cela dans un libelle, ce docteur se fût amusé à le réfuter, et que, faute de le faire, on eût droit de supposer que ç’aurait été l’impuissance de répondre qui l’aurait forcé à se taire, et qu’il y aurait donné les mains ?

(K) On l’a envoyé commander les troupes vaudoises. ] La fausseté que voici n’est guère plus vraisemblable que la précédente. Il y a eu des nouvelles manuscrites qui ont assuré positivement que cet Arnauld qui est à la tête des Vaudois ; est M. Arnauld docteur de Sorbonne, qu’il s’est enfin déclaré, et qu’il fait merveille en Savoie, à la tête des troupes du parti [2]. Ce serait une métamorphose bien surprenante, si, à l’âge de soixante et dix-huit ans, un docteur de Sorbonne qui n’a jamais fait qu’étudier, et qui a tant écrit contre les ministres, était devenu lui-même un ministre colonel, qui eût pendu la plume au croc, pour ne se servir que du mousquet et du sabre, travaillant à faire parler des carabins d’Arnauld encore plus qu’un de ses oncles, fort connu des Rochellois, n’en fit parler sous le règne de Louis XIII [3]. Feu M. l’évêque de Liége a ouï dire à sa table, que M. Arnauld avait fait abjuration de la foi catholique à Bois-le-Duc, et qu’il s’y était marié [4]. La plupart de ceux qu’on appelle zélateurs ne craignent rien tant que l’orthodoxie de ceux qu’ils accusent. Ils ne font pas comme Dieu, qui ne veut point la mort du pécheur, mais qu’il se convertisse et qu’il vive : ils veulent que leur accusé se pervertisse, et ils sont fâchés qu’il ne passe pas dans le parti ennemi, afin de rendre véritables leurs accusations. Ils aiment mieux qu’un autre se damne, que s’ils passaient pour des calomniateurs insignes. Voyez ce qu’a dit un auteur moderne [5].

(L) On lui a donné la charge d’écuyer du Goliath Pierre Jurieu. ] Ceux qui ont placé M. Arnauld à la tête des Vaudois lui ont fait sans doute plus de plaisir que ceux qui l’ont représenté comme l’écuyer du Goliath M. Jurieu : c’est ce qu’a fait M. l’évêque de Malaga dans sa Plainte catholique, en appliquant le mieux qu’il a pu à ces deux fameux écrivains une pensée de saint Bernard sur Pierre Abeilard et Arnauld de Bresse [6], ce qui lui donne lieu d’employer cette conclusion : Isti qui modo surrexerunt novus Golias, et ejus armiger, Petrus scilicet, et Arnaldus, facili negotio exterminabuntur. Le public a vu la lettre que M. Arnauld a écrite à ce prélat, où il lui montre qu’il faut qu’on ait étrangement surpris son altesse [7], puisqu’on lui a fait prendre le docteur Arnauld pour l’écuyer de Jurieu, le Goliath des protestans contre le parti catholique. Car, poursuit-il, votre altesse aurait-elle été capable, si elle avait connu cet Arnauld, d’une aussi grande faute de jugement, que de mettre du même parti les deux ennemis les plus déclarés, et de prendre celui qui a soutenu avec zèle la cause de l’église contre ce ministre, pour son associé et son confident dans la cruelle guerre qu’il

  1. Tirées du tom. III de la Morale pratique, chap. XI, pag. 257.
  2. Question curieuse, pag. 4.
  3. Voyez les Mémoires du sieur de Pontis.
  4. Troisième plainte de M. Arnauld, pag. 8.
  5. Dans la Critique générale du Calvinisme de Maimbourg, pag. 584 de la seconde édition.
  6. Le père Maimbourg s’est fort joué sur la même équivoque d’Arnauld de Bresse, dans sa Décadence de l’Empire : et le père Théophile Raynauld a fait un livre intitulé : Arnaldus de Brixiâ redivivus, in Arnaldo de Lutetiâ.
  7. On le traite ainsi à cause qu’il était fils naturel de Philippe IV, roi d’Espagne.