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ARNAULD.

fait à l’église ? Il est certain que les deux auteurs qu’on a pris, l’un pour Goliath, l’autre pour l’écuyer de Goliath, le sont si peu, qu’il n’est pas plus faux que M. Arnauld ait assisté à la conférence de Bourg-Fontaine, ou au sabbat, ou à l’irruption des Vaudois, qu’il est faux qu’il soit l’écuyer du Goliath Pierre Jurieu. Rien donc ne saurait être non-seulement plus froid, mais aussi plus éloigné de la vérité, que les allusions trouvées dans le passage de saint Bernard.

C’est ce que le prétendu Goliath n’a pas moins reproché à l’auteur de la plainte catholique, que le prétendu écuyer. Si cet évêque avait du bon goût, dit-il [1], il n’aurait pas fait rouler ses violentes invectives sur de froides allusions des noms d’Arnauld de Bresse et Pierre Abaillard ; voulant que M. Arnauld soit le successeur d’Arnauld de Bresse, et le ministre Pierre Jurieu celui de Pierre Abaillard. Il n’aurait pas appelé ce ministre le Goliath ennemi de l’église, et Arnauld son écuyer. Cet Arnauld et ce ministre s’entendent trop mal pour faire partie ensemble ; et de plus, M. Arnauld est bien d’âge, de taille, et de force à être le Goliath, plutôt que l’écuyer ; aussi le prétend-il bien, et l’on veut bien lui en laisser l’honneur.

Je remarquerai ici un petit défaut de mémoire de M. Arnauld. Il s’est plaint [2] qu’après la froide comparaison d’Arnauld de Bresse avec Arnauld de Paris, et de Pierre Abaillard avec Pierre Jurieu, on fait dire à M. l’évêque de Malaga, que ce docteur est le Goliath du parti, et le ministre son écuyer. Nous avons vu qu’on lui a fait dire tout le contraire.

(M) On a dit qu’il avait été banni de France. ] Un docteur de Sorbonne, savoyard de nation [3], a soutenu dans ses Préjugés légitimes contre le jansénisme, imprimés à Genève [4], l’an 1686, que M. Arnauld avait été chassé de France par ordre du roi. C’est ce que signifient ces paroles de l’avertissement au lecteur : Je n’ai pas cru pouvoir dire la vérité, et ne pas blâmer la conduite de ce vieux tartufe, que la justice du roi très-chrétien a rendu fugitif dans la Hollande. Il est néanmoins certain qu’il s’est retiré hors du royaume volontairement, et l’on n’en saurait douter, après les lettres qu’il écrivit en 1679 à M. le chancelier le Tellier, et à M. l’archevêque de Paris, imprimées dans le Ier. tome de l’Esprit de M. Arnauld, l’an 1684 : de sorte qu’il est assez étrange que, deux ans après, l’abbé de Ville ait fait paraître qu’il ignorait une vérité exposée aux yeux de tout le monde, dans une satire qui a tant couru. Mais il est encore plus étrange, qu’en l’année 1690, M. Arnauld ait été contraint de faire imprimer ces deux lettres, pour réfuter ceux qui publient partout qu’il est rebelle à son roi, et qu’il a été chassé de France comme un brouillon [5]. Je ne crois pas que l’auteur de son Esprit ait débité un moindre mensonge que celui-là, en soutenant qu’il a été chassé de Flandre. Bien que ce bon homme, poursuit-il [6], croye que ses aventures sont fort enterrées, on n’a pas laissé d’apprendre de bonne part, qu’il avait été chassé des Pays-Bas par ordre du gouverneur. Le terme de chasser, dont l’auteur de la Critique générale du Calvinisme s’est servi, est un peu équivoque. Ils ont fait acroire, dit-il [7], que la maison de M. Arnauld était un rendez-vous de mécontens, qu’on y tenait des conférences pleines de cabales et de factions, qu’on y préparait des mémoires pour la cour de Rome ; en un mot, ils ont obtenu tout ce qu’il fallait pour le chasser avec le reste de la troupe. Cela ne veut dire sinon qu’ils obtinrent qu’on donnât certains ordres à M. Arnauld, qui furent cause qu’il se choisit une retraite dans les pays étrangers.

(N) On a dit… qu’il avait fait l’Apologie pour les catholiques, afin de recouvrer ses bénéfices. ] M. Jurieu s’est fort abusé lorsqu’il a dit que M. Arnauld avait fait l’Apologie pour les ca-

  1. Religion des jésuites, pag. 59.
  2. À la fin du IIIe. tome de la Morale pratique, pag. 773.
  3. Il s’appelle l’abbé de Ville. Voyez les Nouvelles de la République des Lettres, juillet 1686, article VIII.
  4. Il ne faut pas s’arrêter au titre, qui porte à Cologne, chez Abraham du Bois.
  5. Quest. curieuse, pag. 212.
  6. Esprit de M. Arnauld, tom. I, pag. 38.
  7. Critique générale du (Calvinisme de Maimbourg, Lettre V.