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ARNAULD.

tholiques dans la vue d’obtenir son rappel en France, afin d’y jouir paisiblement de son bien et de ses bénéfices [1], et que la crainte qu’on ne fît confisquer ses bénéfices l’a engagé dans quelques démarches. On ne pourrait guère mieux convaincre cela de faux par une démonstration géométrique que par la déclaration que M. Arnauld a faite publiquement, qu’il n’a aucun bénéfice ; car il n’entrera jamais dans l’esprit d’aucun homme raisonnable, qu’un docteur aussi jaloux de sa réputation que celui-là, et qui ne peut s’attendre à aucun moyen d’éviter la plus mortifiante de toutes les confusions, en cas qu’il nie faussement qu’il ait quelque bénéfice, en ait quelqu’un, s’il se trouve qu’il le nie dans un écrit imprimé. Il ne faut donc que jeter les yeux sur ces paroles de M. Arnauld, pour être démonstrativement convaincu du mensonge de son adversaire. La manière séditieuse, dit-il [2], dont ils avaient osé parler des affaires de ce pays-là, a obligé l’ambassadeur de sa Majesté britannique d’obtenir de Messieurs Les États la condamnation du plus emporté de leurs libelles, auquel il leur a plu de donner pour titre l’Esprit de M. Arnauld, quoique je sois peut-être le moins mal traité d’un grand nombre de personnes qu’ils y déchirent sans aucun rapport à moi, que ridicule ou imaginaire ; n’ayant presque rien autre chose à me reprocher que des intentions cachées, fondées souvent sur des faussetés manifestes : comme lorsqu’ils disent que ce n’a été par aucune vue de religion que j’ai fait l’Apologie pour les Catholiques, mais par une vue d’intérêt, pour ne pas perdre mes bénéfices, moi que tout le monde sait qui n’en ai aucun. C’est ainsi qu’il parle dans une lettre datée du 20 d’octobre 1684. Il ne parle pas moins affirmativement dans un ouvrage imprimé en 1689. Pour le livre faussement intitulé l’Esprit de M. Arnauld, il [3] n’a jamais eu aucune pensée d’y répondre ; car lui ayant été envoyé quelque temps après qu’il parut, en ouvrant l’un et l’autre tome en divers endroits, il tomba sur des choses qui lui firent assez connaître le génie de ce ministre, comme est cette folle calomnie, qu’on laissait lire à Port-Royal les livres des sociniens à des enfans de qualité de douze ou treize ans, à qui on enseignait les lettres humaines [4] ; et une autre non moins ridicule, quoique moins atroce, que M. Arnauld, qui n’a aucun bénéfice, et qui n’en a jamais recherché, a écrit l’Apologie des catholiques pour conserver ses bénéfices. Il conclut de là qu’un calomniateur si outré et si déraisonnable, étant indigne de créance, ne méritait aucune réponse, et il n’a depuis rien lu de ce livre avant que votre Défense eût paru. Voilà ce que je sais d’original [5]. Il est donc arrivé à l’auteur de l’Esprit de M. Arnauld ce que les Latins exprimaient par le proverbe, Cantherius in portâ : il a bronché dès le premier pas.

Notez que M. Arnauld avait un canonicat dans l’église cathédrale de Verdun, lorsqu’il commença sa licence, l’an 1638 [6] ; mais il quitta ce bénéfice un peu avant que de recevoir le degré du diaconat, l’an 1641 [7].

(O) On lui a imputé plusieurs livres qu’il n’avait point composés. ] Nous diviserons cette remarque en quatre sections [* 1].

I. Sans avoir égard à l’ordre du temps, je donnerai pour la première fausseté en matière d’attributions de livres, celle qui regarde la Perpétuité de la Foi ; car cet ouvrage a donné lieu à l’une des plus célèbres disputes qui se soient jamais excitées entre les catholiques romains et les protestans. M. Claude, qui a été le tenant de ceux-ci, en a remporté la plus belle réputation que jamais ministre se soit acquise ; et M. Arnauld,

  1. * Joly dit que Bayle est fort embarrassé par plusieurs ouvrages attribués par les uns à M. Arnauld, et que d’autres nient être sortis de sa plume. Il y avait certes de quoi l’être. Au reste, Joly renvoie au Dictionnaire de Moréri, dans les dernières éditions duquel on trouve un fort bon catalogue des ouvrages de ce docteur.
  1. Esprit de M. Arnauld, tom. I, pag. 34, 36, 44.
  2. Seconde addit. à l’Apologie pour les Catholiques, pag. 14.
  3. C’est de lui-même que M. Arnauld parle.
  4. Voyez la Réfutation de ce conte dans la Dissertation de M. Arnauld, sur le prétendu Bonheur des plaisirs des sens, imprimé en 1687.
  5. Tome III de la Morale pratique, pag. 237, 238.
  6. Præfatio Causæ Arnaldinæ, pag. vij.
  7. Ibidem, pag xix.