Page:Bayle - Dictionnaire historique et critique, 1820, T02.djvu/464

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
454
ARTABAN IV.

teur, et il est très-vrai que l’on trouve ces paroles dans le chapitre que je cote d’Hérodien : Ἀρτάϐανόν τε τὸν πρότερον καλούμενον τὸν μέγαν βασιλέα καὶ δυσὶ διαδήμασι χρώμενον ἀποκτεῖναι [1]. Atque Artabano, qui rex magnus primus appellatus est, duplicique diademate utebatur, necem intulisse. Je crois qu’il a voulu dire qu’avant Artaban IV, aucun roi des Parthes n’avait pris le titre de grand roi, et il se tromperait fort, s’il disait absolument que ce fut le premier prince qui se nomma de la sorte ; car il est sûr que les anciens rois de Perse avaient pris cette qualité, et qu’elle leur fut affectée. Voyez le vingt-quatrième vers des Perses d’Eschyle, et les notes de Stanley sur ce vers-là. Il allègue le témoignage de Dion Chrysostome, Orat. III ; de Josephe, Antiquit., lib. XI, cap. VI ; d’Hérodote, lib. VIII et lib. V ; de Xénophon, Expedit., lib. I ; d’Aristides, in Romæ Encomio ; de Suidas, in μέγας βασιλεὺς. M. du Rondel m’a indiqué ce passage de Stanley. On peut ajouter à ces auteurs Platon, in Gorgiâ, pag. 321, C ; Plutarque, in Vitâ Cimonis, pag. 485, E ; le livre d’Eshter, chap. XVI, vs. i. Lisez aussi le Panégyrique d’Isocrate, vous y trouverez la plainte de cet orateur contre les Grecs de son temps, qui, dans leur langage ordinaire, donnaient au monarque des Perses le titre pompeux de Grand Roi : Oὐ βασιλέα τὸν μέγαν αὐτὸν προσαγορεύομεν ὥσπερ αἰχμάλωτοι γεγονότες ; [2] Non eum quasi bello capti regem magnum appellamus ? Notez que les rois de Perse ne furent pas les premiers qui se donnèrent ce nom. Les rois d’Assyrie l’avaient porté, comme on le peut recueillir du chapitre XVIII du IIe. livre des Rois [3], où l’on trouve les paroles du député de Sennacherib. Je me souviens de la réponse que le père Goulu fit quand on critiqua un passage de sa traduction de l’Apologie de Socrate. Rapportons d’abord les paroles du censeur : Je ne sais de quoi l’accuser, si ce n’est d’une ignorance volontaire en un passage de son Apologie de Socrate, où il lui fait dire : Je m’assure que, quand ce serait le grand seigneur, et non pas une personne de basse condition, il préférerait une nuit semblable à celle-là, à toutes les nuits et à tous les autres jours de sa vie, etc. Je voudrais bien lui demander si ce grand seigneur n’est pas le Turc : et si c’est lui, comment Socrate en pouvait parler, si ce n’était par prophétie, puisqu’il ne peut pas y avoir huit cents ans que les Ottomans ont commencé leur tyrannie, et qu’il en a plus de treize cents du siècle de Socrate au leur, à compter depuis l’année quatrième où il est né, dans la 77e. olympiade [4]. Voici la réfutation de cela. « Un habile homme m’aurait épargné une réponse en ne me faisant pas une demande si sotte. Mais patience ; répondons à cet ignorant. Oui, paladin [5], le Turc est aujourd’hui celui qu’on nomme le grand seigneur. Mais du temps de Socrate, c’était le roi des Perses qu’on appelait de la sorte, et qu’on ne nommait point autrement. Aux autres rois, dit Suidas, on donne le titre des états et des pays qui sont de leur obéissance, et pour ce on dit le roi de Macédoine et le roi des Lacédémoniens. Celui des Perses se qualifie simplement le grand roi ou le grand seigneur, μέγας βασιλεὺς, μέγας δεσπότης. Et comme il portait le titre de grand seigneur, ses sujets prenaient la qualité d’esclaves, et sa cour s’appelait la Porte, ses courtisans οἰ ἐπιθύραις βασίλεως, ceux qui étaient à la porte du roi. L’empereur des Turcs lui a succédé au titre de grand seigneur, aussi-bien qu’en la meilleure partie de ses royaumes, et en la forme de son gouvernement. De façon que, sans révélation et sans prophétie, Socrate a pu parler du grand seigneur, de quoi le paladin ne l’a pu reprendre sans découvrir son ânerie. Mais de le renvoyer à Hérodote, à Thucydide, et aux autres bons auteurs,

  1. Herodian., lib. II, cap. II, pag. 257.
  2. Isocrates, in Panegyr., pag. 96. Voyez l’article Agésilaus II, citation (38).
  3. Aux vers 19 et 28.
  4. Discours d’Aristarque à Nicandre, sur les fautes de Phyllarque, pag. 120, 121.
  5. On se sert de ce mot, à cause qu’on avait à faire à Javersac, contre lequel il avait paru une satire, intitulée La Défaite du Paladin Javersac. Voyez son article.