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ATHÉNAGORAS.

de pièces d’ici à cent ans, ne douteront pas qu’elles n’aient été actuellement présentées ; mais nous autres, nous savons bien que cela est faux, nous savons bien que l’an 1680 il courut un imprimé, qui avait tout l’air d’une requête effectivement présentée au roi de France par ceux de la religion [1]. Une infinité de gens le crurent dans les pays étrangers, et dans les provinces éloignées de Paris. J’ai néanmoins ouï dire qu’elle ne fut point présentée, et il est certain que les députés des églises qui l’avaient dressée, en désavouèrent la publication. Il parut un autre imprimé de la même espèce, pendant les conférences de Ryswik, l’an 1697, pièce vagabonde et sans aveu ; mais qu’on pourra mettre un jour parmi les actes authentiques, vu que rien n’y marque que cette requête n’ait pas été actuellement remise entre les mains de Louis XIV. Les premiers chrétiens en usaient apparemment de la même manière. Ils composaient des écrits adressés aux empereurs, et les publiaient sous l’espérance qu’il en tomberait quelque exemplaire entre les mains de ces princes, et que cela porterait la cour à remédier aux violences que l’on exerçait sur les fidèles injustement accusés. Encore un coup, je me persuade qu’Athénagoras fit dans le IIe. siècle ce que fit Calvin dans le XVIe. Calvin, caché à Bâle dans une petite chambre, dédia à Francois Ier. son Institution chrétienne, que ni lui, ni aucun autre, ne présentèrent jamais.

Je ne dois pas supprimer que le jour même que je composai cette remarque, je la communiquai à M. Cockburn [2], qui s’offrit tout aussitôt de consulter là-dessus M. Dodwel. Il m’a fait la grâce de me communiquer la réponse qu’il a reçue, qui est toute pleine d’une exquise érudition, d’où l’on tire des conséquences en faveur du sentiment que j’ai combattu. Ces conséquences ont de la probabilité. La lettre de ce savant homme mériterait d’être imprimée. Je l’insérerais ici volontiers, si j’en avais la permission : mais ne l’ayant pas, je dois aussi me priver de la liberté de la dispute.

(C) Une infinité de requêtes des protestans de France... ont été imprimées, sans avoir jamais été présentées au prince. ] Le public est si certain de cela, que je ferais une chose très-inutile, si je m’amusais à le prouver. Mais pour ce qui regarde la requête qui courut l’an 1680, j’ai sujet de croire que mes lecteurs s’imagineront que je me suis trop avancé en niant qu’elle ait été présentée. Il est donc juste que je propose mes raisons. Je commence par démêler cette requête d’avec plusieurs autres, qui furent dressées en divers temps, et je dis que c’est celle qui fut réfutée par un prêtre nommé Soulier. La réponse qu’il y fit fut imprimée sans son nom. Il est parlé de cette réponse dans la 6e. page des Derniers Efforts de l’innocence opprimée, et dans la page 305 de l’Histoire des édits de pacification [3], et dans le IIIe. tome de l’Histoire de l’édit de Nantes [4]. On trouve même dans ce dernier livre un précis de cette réponse, et cela comme d’un écrit dont l’auteur était inconnu. Cet historien de l’édit de Nantes assure que la requête fut présentée : il arriva, je ne sais comment, ajoute-t-il [5], que quelque temps après elle fut imprimée et débitée publiquement. Je crois qu’il se trompe, et qu’elle fut imprimée et débitée avant qu’on eût pu la présenter. Or, depuis qu’elle eut paru en public, le roi ne l’eût point reçue. Voyez dans la Vie de M. du Bosc comment le conseil se scandalisa de ce que les députés de ceux de la religion avaient publié une requête qu’ils avaient présentée, mais que le roi n’avait pas encore répondue [6]. Ce prince fut tellement choqué de l’impression de cette requête, qu’il la condamna sans la voir, et qu’il fit mettre à la Bastille deux des députés [7]. Ceci se passa environ l’an 1671. Quelle apparence, qu’au bout de neuf ans, c’est-à-dire, dans un temps où

  1. Voyez la remarque suivante.
  2. C’est un Écossais, docteur en théologie, et auteur de quelques livres anglais, dont quelques-uns combattent le Bonrignonisme
  3. De l’édition de Hollande, en 1682. Le sieur Soulier est l’auteur de cette Histoire, et il a mis son nom. Il se reconnaît l’auteur de la Réponse à la Requête, à la page 305 de cette Histoire.
  4. Liv. XVI, pag. 404 et suiv.
  5. Là même.
  6. Vie de M. du Bosc, pag. 81.
  7. Là même.