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ATHÉNAGORAS.

privat, etiamsi ea mortua sit, adulter est clancularius, cùm primùm Dei manum transgrediatur (quoniam ab initio Deus unum virum et mulierem unam). Vous voyez qu’il impose à tous les hommes la même loi que Dieu n’imposa qu’au souverain sacrificateur [1] : il veut que, s’ils se marient, ce soit seulement avec une fille. Il ne se contente pas qu’ils soient vierges, il veut aussi qu’ils ne choisissent que des vierges pour leurs femmes. C’est errer conséquemment ; car si les secondes noces étaient criminelles, un garçon qui épouserait une veuve, serait criminel, et ferait un nouveau crime toutes les fois qu’il s’acquitterait des fonctions matrimoniales. Il ferait pécher son épouse, or, selon les règles de la morale, quiconque fait pécher les autres pèche lui-même. Dites-en autant d’une fille qui épouserait un veuf. Je ne sais, dit M. de Tillemont [2], si l’expression [* 1] dont Athénagore se sert touchant les prophètes, en un temps où les extases de Montan commencaient à troubler l’Église, ne peut point donner lieu de craindre qu’il n’ait été engagé dans ce parti. Néanmoins, ni Scultet, ni M. du Pin [* 2], n’ont point remarqué cet endroit comme sujet à quelque mauvais sens. Je ne trouve pas qu’on puisse avoir la moindre raison de le soupçonner de montanisme sous un tel prétexte. Combien y a-t-il d’orthodoxes, qui prétendent que les anciens prophètes étaient ravis en extase, et que leur langue ou leur plume étaient l’instrument du Saint-Esprit ? Que pourraient-ils donc trouver de blâmable dans ces paroles d’Athénagoras : Νομίζω καὶ ὑμᾶς... οὐκ ἀνοήτους γεγονέναι οὔτε τῶν Μωσέως, οὔτε τῶν Ἠσαΐου καὶ Ἱερεμίου, καὶ τῶν λοιπῶν Προϕητῶν, οἳ κατ᾽ ἔκςασιν τῶν ἐν αὐτοῖς λογισμῶν, κινήσαντος αὐτοὺς τοῦ θείου πνεύματος, ἃ ἐνηργοῦντο ἐξεϕώνησαν· συγχρησαμένου τοῦ πνεύματος, ὡσεὶ καὶ αὐλητὴς, αὐλὸν ἐμπνεῦσαι [3]. Arbitror vos etiam..… non ignaros esse eorum, quæ Moses, quæ Esaias, quæ Hieremias, quæ cæteri Prophetæ reliquerunt. Qui per mentis abreptionem, Spiritu divino ipsos movente, quæ acceperunt, elocuti sunt, cùm et Spiritus eodem modo per ipsos operaretur, quo tibicen inflat fistulam. Il est vrai que la comparaison du Saint-Esprit avec un joueur de flûte est basse, mais le fond de la chose n’est point une erreur.

Ce que j’ai dit de la loi qui fut prescrite au souverain sacrificateur des Juifs, me suggère une conjecture que je m’en vais hasarder. Les premiers chrétiens, qui se déclarèrent si fortement contre les secondes noces, furent peut-être engagés à ce sentiment par la considération qu’il faut être plus parfait sous la loi de l’Évangile, que sous la loi mosaïque ; de sorte que les laïques chrétiens sont obligés à observer toute la plus grande régularité qui fût en usage parmi les ecclésiastiques de la synagogue. En effet, il semble qu’à certains égards tous les chrétiens soient installés à la sacrificature [4]. S’il fut donc trouvé à propos d’interdire le mariage d’une veuve au souverain sacrificateur des Juifs, afin que cette défense le fît souvenir de l’attachement qu’il devait avoir à la pureté, n’a-t-on point dû croire qu’il fallait mettre tous les chrétiens sous ce même joug ? C’est ainsi peut-être que l’on raisonna : peut-être aussi que la première origine de cette morale sévère fut le désir d’ôter pleinement l’abus de cette espèce de polygamie, que le divorce rendait fréquente. Les mauvais plaisans seraient plus que ridicules, s’ils s’avisaient de critiquer ce qui fut prescrit au souverain sacrificateur. Il aurait fallu l’assujettir à quelque loi onéreuse, dira-t-on ; mais au contraire, il a été obligé à faire le délicat, et à ne vouloir pas être servi d’une viande réchauffée. Permis aux autres de prendre le reste des autres, lui seul devait être plus difficile, et d’un goût bien plus friand. Fade et basse raillerie ; car c’est au fond une servitude que de n’avoir pas le droit de se marier à qui l’on veut ; et combien y a-t-il de gens sensuels qui, dans une pleine liberté de choisir, préféreraient certaines veuves à toute autre maîtresse ? Mais de plus,

  1. (*) Athenagor., Leg., pag. 9, d.
  2. (*) Scult., pag. 52. Du Pin, tom. I, pag. 175.
  1. Lévitique, chap. XXI, vs. 13 et 14.
  2. Tillemont, Hist. des Empereurs, tom. II, pag. 759.
  3. Athenagoras, pag. 72, 74.
  4. Voyez la Ire. Épître de saint Pierre, chap. II, vers. 5 et 9.