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ANAXAGORAS.

verò discernerentur, Anaxagoræ illud repentè contingeret, universa videlicet esse simul. Il dit ailleurs : Τὸ τοῦ Ἀναξαγóρου ἂν πολὺ ἦν, ὧ ϕίλε Πῶλε.... ὁμοῦ ἂν πάντα χρήματα ἐϕύρετο ἐν τῷ αὐτῷ, ἀκρίτων τ᾽ ὄντων τῶν τε ὑγιεινῶν καὶ ἰατρικῶν καὶ ὀψοποιητικῶν [1]. Illud Anaxagoræ prorsùs accideret, amice Pole.... omnia videlicet in eodem indiscreta commiscerentur, et quæ ad medicinam pertinent et salutem, et quæ ad coquinariam attinent. M. Ménage rapporte que Luther donnait le nom de théologiens anaxagoristes à ceux qui trouvaient tout dans chaque texte de l’Écriture : Atque indè est quod Luthero theologicus Anaxagoricus dicitur is qui quodlibet in quolibet loco Scripturæ Sacræ invenire possit [2].

V. Ses premiers principes l’étaient et ne l’étaient pas : ils l’étaient, selon sa supposition ; et ils ne l’étaient pas réellement, puisqu’ils étaient composés et corruptibles, tout autant qu’aucun autre corps. Il admettait la divisibilité à l’infini : il devait donc dire, qu’il y avait une infinité de corpuscules dans la plus petite goutte d’eau ; et par conséquent, qu’elle n’en contenait pas un moindre nombre que toute la terre. D’ailleurs ce nombre infini de corpuscules était un amas de toutes sortes d’hétérogénéités. Il n’était donc pas plus simple qu’un arbre ; et, à cet égard, il ne différait des corps qu’on appelle mixtes, que parce que les yeux de l’homme n’auraient pas pu découvrir les parties dissimilaires, comme ils les découvrent dans un arbre. Enfin l’entendement, qui avait mû la matière, pouvait diviser à l’infini ces prétendus premiers principes, aussi aisément que le feu divise le bois ; il était donc aussi périssable que le bois : d’où il résulte que s’ils existaient dans la nature des choses, ce n’était pas en qualité de premiers principes. Outre cela, que pourrait-on supposer de plus absurde, que d’établir pour principes ce qui n’existait point du tout ? Or il est certain, selon l’hypothèse d’Anaxagoras, qu’il n’y avait aucune homœomérie dans l’univers.

Examinons une réponse qu’il aurait pu faire. Il aurait pu supposer que l’essence des homœoméries ne consiste point dans la ressemblance de toutes leurs parties, mais dans la conformité qui se trouve entre l’arrangement des hétérogénéités d’un petit os, par exemple, et l’arrangement des hétérogénéités de tout autre os. « Je ne prétends point, eût-il pu dire, qu’un os de dix pouces, divisé en cent mille parties, ou, ce qui est la même chose dans mon hypothèse, en cent mille petits os, ne contienne absolument aucun corpuscule qui ne ressemble à tous les autres. J’avoue que chacun de ces petits os est un mélange de toutes sortes de principes ; il contient des chairs ; il contient du sang et des membranes, etc. ; mais comme ces matières différentes sont rangées selon la même symétrie dans chacun de ces petits os, j’ai raison de soutenir que l’assemblage de cent mille de ces petits os est un composé homogène, ou un tas d’homœoméries : et puisque je suppose que l’entendement, qui en a fait le triage, les a trouvées toutes faites, je puis soutenir que chacune d’elles prise à part est indestructible : car elles ont toujours existé par elles-mêmes ».

Cette réponse contient deux chefs : l’un est l’explication de l’hypothèse à l’égard du sens du mot homœomérie ; l’autre regarde l’incorruptibilité de ces homœoméries. Je vais éclaircir le premier par un exemple. Mettez dans une bibliothéque tous les exemplaires d’un même livre, reliés de la même façon. Ce sera un amas de livres semblables, un amas homogène : non pas à cause que chacun de ces volumes est composé de parties qui se ressemblent parfaitement, mais à cause que le blanc et le noir, les espaces, les lettres, les accens, les points, les virgules, et les autres parties hétérogènes, ont la même symétrie dans l’un que dans tous les autres. Laissons en repos cette explication d’Anaxagoras, et contentons-nous d’attaquer le second point de sa réponse.

VI. Je ne lui demande point pourquoi cette intelligence, qu’il a reconnue, a laissé les homœoméries dans la confusion pendant toute l’éternité, ni d’où vient qu’elle s’est avisée si tard de les mouvoir et de les unir, ni pourquoi il nie que de rien on puisse produire quelque chose, lui qui avoue que le

  1. Idem, in Gorgiâ, pag. 317.
  2. Menag., in Laërtium, lib. II, pag. 73.