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AUSONE.

accompagné de bon nombre de gentilshommes, pour aller à la guerre de Malte. Les lettres qu’il reçut du roi avant que de s’embarquer lui firent rompre ce voyage. Il obéit si promptement à l’ordre qu’il avait reçu de retourner, que sa diligence apaisa un peu la colère de Philippe ; et il se remit entièrement dans ses bonnes grâces, pour avoir été le premier qui lui révéla les machinations de don Carlos. Il y avait très-peu d’amitié entre ces deux jeunes princes (D). Don Juan fut peu après envoyé au royaume de Grenade contre les Maures, et se signala dans cette guerre. Il fut déclaré généralissime de la ligue contre les Turcs, et, en cette qualité, il gagna la fameuse bataille de Lépante L’an 1571, après quoi il prit la ville de Tunis et celle de Biserte, et revint triomphant en Italie, suivi d’Amidas roi de Tunis, qu’il avait fait prisonnier. Il avait laissé garnison dans Tunis contre les ordres de Philippe, et déjà, par l’entremise du pape, on parlait de lui conférer le titre de roi de Tunis. Le roi d’Espagne n’était guère content de toutes ces prospérités : l’idée qu’il se forma de l’ambition de ce jeune prince lui donnait de l’inquiétude [a]. Il l’envoya commander dans les Pays-Bas, mais il lui ordonna de pacifier ces provinces : il n’était pas bien aise de l’y savoir à la tête des armées. Avec cette préoccupation, il avalait aisément tous les bruits qui pouvaient lui rendre suspecte la conduite de son frère ; et quelques-uns disent que, pour augmenter la division, on trouva moyen de lui faire dire que don Juan s’allait marier avec la reine Élisabeth [b]. Disons, pour couper court, qu’Escovedo, secrétaire de don Juan, ayant été envoyé à Madrid par son maître, pour y solliciter les secours que l’on attendait depuis long-temps, y fut tué (E). Don Juan se crut alors en pleine disgrâce : le chagrin de se voir sacrifié à la risée des ennemis, par l’impossibilité où on le mettait de leur tenir tête (F), lui causa une maladie dont il mourut le 1er. d’octobre 1578 [c]. On a cru même qu’il fut empoisonné (G). Il recommanda bien au roi Philippe sa prétendue mère, et son prétendu frère utérin, et ses domestiques ; mais il n’osa point lui faire parler de ses deux filles naturelles [d] (H).

On voit son éloge parmi ceux de plusieurs autres guerriers, dans un livre composé par Primo Damaschino, et imprimé à Rome, l’an 1680, sous le titre de La Spada d’Orione stellata nel Cielo di Marte. Mais si vous souhaitez de voir le détail des plaintes que l’on fit contre sa conduite, avec plusieurs de ses lettres interceptées, vous n’avez qu’à lire Sommier Discours des justes Causes et Raisons qui ont constrainct les Éstats-Généraulx

  1. Quod Philippo suspicionem intendit elatum victoriarum cursu juvenem non diù laturum privatam fortunam, et regna nunc rogare aliquandò invasurum. Strada, de Bello belgico, decad. I, lib. X, pag. 617.
  2. Voyez la remarque (F).
  3. Majoribus in dies pressus angustiis ac desertus, uti palàm querebatur à rege, traditusque hostium ludibrio, ingens animi speique princeps….. ex mœrore contabuit. Strada, decad. I, lib. X, pag. 619.
  4. Tiré de Strada. au Xe. livre de la Ire. décade.