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ANAXANDRIDE.

jusqu’à ce temps-là à mêler l’amour dans les comédies. Anaxandride était un homme de belle taille, et de bonne mine : il avait grand soin de ses cheveux, et il s’habillait magnifiquement ; il portait une robe de pourpre à franges d’or [a]. Cet équipage ne sentait nullement son poëte. Il affectait tellement la pompe, qu’un jour qu’il devait lire un poëme dans Athènes, il se rendit à cheval au lieu de l’assignation, et récita une partie de sa pièce à cheval. Ces manières rendent vraisemblable ce qu’on ajoute de lui : c’est qu’il se dépitait extrêmement lorsque ses pièces ne remportaient pas la victoire [b]. Il ne faisait pas comme les autres personnes de son métier : il ne retouchait point, il ne corrigeait point ses comédies, afin de les faire entrer en lice une autre fois sous une meilleure forme ; il les envoyait habiller, chez les Francœurs de ce temps-là, le poivre et la cannelle [c]. Cette humeur bourrue et mutine contre les spectateurs fit périr plusieurs belles comédies qu’il avait faites. Il faut pourtant que son dépit ait assez souvent cédé à la tendresse paternelle puisqu’il ne vainquit que dix fois [d], et que l’on trouve citées plus de vingt de ses comédies (voyez dans les remarques la réflexion d’Athénée (C) : il en avait composé soixante-cinq [e]. Les Athéniens le condamnèrent à mourir de faim, parce qu’il avait censuré leur gouvernement (D). Le poëte comique Alexandride n’est peut-être qu’une faute de copiste (E) : on pourrait donc peut-être substituer notre Anaxandride partout où l’on rencontre celui-là.

  1. Chamæleon Heracleotes, lib. VI, de Comœdiâ, apud Athen. libr. IX, pag. 374.
  2. Ὅτε γὰρ μὴ νικῴη λαμϐάνων ἔδωκεν εἰν τὸν λιϐανωτὸν κατατεμεῖν. Victus conscindendas dabat, ut ex iis thuris involuera fierent. Cham. Heracleotes, libr. VI, de Comœdiâ, apud Athen., lib. IX, pag. 374.
  3. Voyez la Ire. Épître de Boileau
  4. Suidas.
  5. Idem.

(A) Natif de Camire [1].] Suidas le dit comme Chamæléon ; mais il fait entendre que ce n’était point le sentiment de tous les auteurs. Il y avait partage : les uns voulaient qu’Anaxandride fût Colophonien, et les autres qu’il fût Rhodien.

(B) Il florissait environ la 101e. olympiade. ] L’auteur anonyme des olympiades s’accorde en cela avec Suidas ; et comme ce dernier remarque qu’Anaxandride assista aux jeux de Philippe roi de Macédoine, il nous donne un fait qui établit cet âge d’Anaxandride. On sait d’ailleurs que ce poëte maltraita Platon [2], et que quelques-unes de ses comédies ont été citées par Aristote [3]. Il faut donc qu’il ait vécu au temps que Suidas a marqué.

(C) Voyez dans les remarques la réflexion d’Athénée sur le nombre de ses comédies. ] Ayant cité un vers du Térée d’Anaxandride [4], pièce qu’on n’estimait pas beaucoup, il prend occasion de rapporter ce que j’ai cité de Chamæléon, après quoi il demande, avec quelque sorte d’étonnement, d’où est venu que le Térée et d’autres semblables pièces du même auteur, qui n’avaient pas remporté l’honneur du triomphe, se sont conservées. Il aurait pu trouver la solution de cette difficulté dans les paroles mêmes de Chamæléon. Elles insinuent clairement qu’Anaxandride ne fit éclater contre ses pièces le dépit qu’il conce-

  1. Cham. Heracleot., lib. VI, de Comœdiâ, apud Athen., liv. IX, pag. 374.
  2. Diog. Laërt. in Platone, liv. III, num. 26, edit. 1692.
  3. Aristot. Rhetor., lib. III, cap. XII.
  4. Athen., liv. IX, pag. 373.