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ANCHISE.

data, et avait été composé par un homme qui s’appelait Anaxandride. Il avait conté une histoire qui a donné lieu au proverbe grec, Ἀκρὸν λάϐε, καὶ μέσον ἕξεις, prenez le haut, et vous aurez le milieu. Consultez Vossius, à la page 320 de ses historiens grecs.

ANCHISE, prince troyen, issu de Dardanus, et fils de Capys [a], plut si fort à Vénus, qu’elle s’apparut à lui sous la forme d’une belle nymphe, pour lui déclarer son amour. Elle lui dit que son destin la contraignait à venir s’offrir en mariage : elle l’assura qu’il la trouverait bien fille [b], et le conjura de la présenter à sa parenté, afin qu’on dressât bientôt le contrat. Anchise répondit en fort galant homme que, puisqu’elle n’était point une déesse, rien n’était capable de l’empêcher de jouir d’elle sur-le-champ [c]. Il fut pris au mot ; on se mit au lit, etc. Sur le soir, Anchise s’endormit ; et à son réveil, il s’aperçut qu’il avait couché avec une déesse. Il eut peur de ne vivre pas longtemps après un tel coup (A) ; mais Vénus le rassura, et lui dit qu’elle aurait un fils de lui, qui se nommerait Énée ; qu’elle ferait nourrir cet enfant par les nymphes des bois, jusqu’à l’âge de cinq ans ; et qu’alors, elle le lui remettrait entre les mains. Elle l’avertit qu’il prît bien garde de ne se vanter jamais d’avoir eu la jouissance de Vénus, et que, s’il lui arrivait de manquer de discrétion, il serait foudroyé de Jupiter [d]. On prétend qu’Anchise n’eut pas la force de se taire sur cette bonne fortune (B), et qu’un jour, en buvant avec ses amis, ce secret lui échappa. La menace de Vénus eut son effet : il fut frappé d’un coup de foudre ; mais il n’en mourut pas (C). Les uns disent qu’il en perdit seulement la vue (D), les autres prétendent que la plaie ne se put jamais fermer (E). Il vécut, dit-on, jusqu’à l’âge de quatre-vingts ans, et fut enterré sur le mont Ida (F), où son tombeau fut honoré par les bergers. Cette opinion est fort différente de celle de Virgile : car, selon ce poëte, la nuit que Troie fut prise, Énée chargea son père sur ses épaules (G), et le mit en lieu de sûreté ; et ce bon vieillard ne mourut que quand les Troyens, qui se joignirent à Énée, furent parvenus en Sicile, après une infinité de fatigues. Cette tendresse d’Énée pour son père, et le soin qu’il prit de sauver les dieux Pénates, sont le fondement du caractère qui le distingue des autres héros. Ce caractère consiste dans la piété [e]. Il y en a qui disent qu’Anchise vécut jusqu’à ce que son fils fût arrivé en Italie, cette terre de promission, que les destinées lui avaient ordonné d’aller chercher au travers de mille périls [f]. Caton, Denys d’Halicarnasse, et Strabon, embrassent ce sentiment [g]. Au reste,

  1. Homerus, Illiados, lib. XX, vs. 239.
  2. Ἀπειρήτην ϕιλότητος. Imperitam venerei congressûs. Homerus, in Hymno Veneris, vs. 133.
  3. Πρὶν σῆ Φιλότητι μιγῆναι αὐτίκα νῦν. Quo minus tibi in amore misceas statim nunc. Homerus in Hymno Veneris.
  4. Idem, ibid.
  5. Virgile lui donne souvent l’épithète de Pius Æneas.
  6. Voyez, entre autres passages, le Ier. livre de l’Énéide, vers 205 et 258.
  7. Voyez la remarque (F) à la fin.