l’amour de Vénus pour Anchise ne fut point une passion passagère : le premier accouchement ne la guérit pas ; elle donna un second fils à Anchise, comme le remarque Apollodore dans le IIIe. livre de sa Bibliothéque.
(A) Il eut peur de ne vivre pas longtemps, aprés avoir couché avec Vénus. ] C’était une tradition, en ce temps-là, que les mortels qui couchaient avec des déesses n’étaient pas de longue vie. C’est pourquoi Anchise, ayant connu son aventure, supplia Vénus d’avoir compassion de lui :
Ἀλλά σε πρὸς ζηνὸς γουνάζομαι αἰγιόχοιο
Μή με ζῶντ᾽ ἀμενηνὸν ἐν ἀνθρώποισιν ἐάσῃς
Ναίειν· ἀλλ᾽ ἐλέαιρ᾽ ἐπεὶ οὐ βιοθάλμιος ἀνὴρ
Γίγνεται, ὅςε θεαῖς εὐνάζεται ἀθανάτῃσι [1].
Verùm te per Jovem oro Ægidiferum,
Ne me viventem debilem inter homines sinas
Habitare, verùm miserere, quoniam non longævus
Vir est quisquis cum deabus concumbit immortalibus.
Il semble d’abord que cette pensée des
anciens ne pouvait avoir aucun fondement ;
car cette union intime d’un
homme mortel avec les natures immortelles,
ce mélange, cette confusion
de principes, devait passer pour
un germe d’immortalité, et non pas
pour une cause de courte vie. Aussi
voyons-nous que la cabale la plus raffinée
a enseigné que les habitans des
élémens réparent le malheur de leur
destinée, qui les assujettit à rentrer
dans le néant ; qu’ils le réparent, dis-je,
par l’alliance qu’ils peuvent contracter
avec l’homme... Ainsi une
nymphe ou une sylphide devient immortelle
et capable de la béatitude à
laquelle nous aspirons quand elle est
assez heureuse pour se marier à un sage ;
et un gnome ou un sylphe cesse d’estre
mortel du moment qu’il épouse une de
nos filles [2]. Mais si nous examinons
la chose par toutes ses faces, nous
trouverons une raison spécieuse de la
crainte qu’eut Anchise, et de la maxime
qu’il allégua. Les dieux, selon les
idées des païens, étaient jaloux de
leur supériorité, et donnaient bon
ordre que l’homme n’oubliât point son
infériorité. Ils le devaient donc exclure
de la jouissance des déesses, et lui
faire comprendre que ce morceau n’était
pas pour lui. Ils devaient lui faire
peur d’un châtiment exemplaire, tel
qu’est celui d’une mort précoce, en
cas qu’il goutât d’un plaisir de cette
nature, qu’ils se voulaient réserver.
Ils devaient non-seulement faire peur
aux hommes qui auraient l’audace de
tenter une déesse, mais aussi à tout
mortel qui succomberait aux déclarations
d’amour que lui feraient les
déesses ; et lors même qu’il serait persuadé
que ce n’étaient que des femmes.
Ne voyons-nous pas que les lois
humaines condamnent au dernier supplice
les valets qui couchent ou avec
la femme ou avec la fille de leurs maîtres ?
Ils ont beau dire pour leur excuse
qu’ils ont long-temps résisté à la
sollicitation, et qu’on leur a fait tant
d’avances, et même tant de menaces,
qu’enfin ils n’ont pu se garantir de
ce piége, la justice ne laisse pas de
les livrer au bourreau, en supposant
même que leur excuse est un fait certain
et indubitable. Les gazettes nous
ont appris, depuis peu de jours [3],
que l’on a pendu à Paris un laquais
pour un tel cas. Et comme l’intérêt
public demande, en quelques
rencontres, que la rigueur des lois
aille au delà de la justice, parce que
l’iniquité exercée contre un particulier
[4] est moins un mal, politiquement
parlant, que l’utilité publique
qui en résulte n’est un bien, je ne
crois pas que des juges, animés d’un
zèle sévère pour la conservation de la
pureté dans les familles, s’arrêtassent
à l’apologie d’un laquais, fondée sur
ce que la fille ou la femme du logis,
déguisée en servante, le serait venu
trouver, etc. Il est utile que des laquais
n’aient nulle grâce à espérer,
non pas même dans l’ignorance du
fait ; car cela est propre à les tenir
mieux en garde, et à ne leur faire envisager
qu’avec horreur le prétendu
avantage d’être aimés. Cela peut leur
servir de précaution contre les promesses,
contre les menaces, contre