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ANCILLON.

qu’il aymoit tendrement ; mais que si cet homme-là, en parlant de M. Ancillon, la lui venoit demander en mariage, il la luy donneroit de tout son cœur. On alla luy demander s’il estoit encore dans ce sentiment avantageux : il répondit qu’il y estoit, et accompagna cette réponse de témoignages nouveaux d’estime et d’affection pour M. Ancillon ; de sorte que le mariage fut conclu en l’année 1649, et consommé peu de temps après. D. Marie Macaire, son épouse, estoit fort jeune : elle n’avoit que quatorze ans ; mais comme elle avoit, dans cette grande jeunesse, toutes les vertus naissantes, on verra à la suite de ce discours qu’elle luy a esté non-seulement un ayde à la piété qui l’y a entretenu, un ayde à la société qui la luy a rendue agréable, mais aussi qu’elle luy a esté un ayde à l’œconomie sur lequel il s’est reposé des soins de sa famille [1]. »

(B) Il retourna bientôt à Francfort. ] Ses prédications firent bientôt bruit à Hanau [2]. Plusieurs personnes, qui avoient quitté l’assemblée françoise, pour quelque mécontentement qu’ils avoient reçu, y revinrent. Les professeurs en théologie, les ministres allemands et flamands assistèrent fréquemment à ses sermons. Le comte de Hanau lui-même, qu’on n’avoit jamais vu dans ce temple, eut la bonté d’y venir entendre M. Ancillon ; on y venoit des lieux circonvoisins, de Francfort même... ; des gens qui n’entendoient point le françois s’y rendoient en foule avec empressement, et disoient qu’ils aimoient à le voir parler. Indè iræ et lacrymæ. Cette distinction donna de la jalousie aux deux autres ministres ; la nature, troublée par cette passion, oublia ses devoirs [3]. Ils prirent ombrage des marques d’estime et d’affection qu’on donna à ce nouveau collègue ; ils en eurent du chagrin ; ils lui en donnèrent à lui-même par mille vexations qu’ils lui firent pour l’obliger à quitter volontairement un poste dont ils ne pouvoient le chasser. La vertu de M. Ancillon fut une seconde fois rappelée au combat. Au lieu que ces deux parens [4] avoient témoigné de l’empressement à lui faire plaisir, et qu’il sembloit qu’ils souhaitassent de pouvoir changer les pierres en pain pour le soulager, tandis qu’il avoit esté dans leur ville comme étranger, ils s’éloignèrent de lui lorsqu’ils le virent attaché à leur troupeau ; ils lui donnèrent mille mortifications, et ils auroient changé volontiers, s’ils avoient pu, les pains en pierres pour le chasser, tant il leur estoit à charge........ Cette conduite fit deux effets assez considérables [5] : l’un, que les catholiques romains et les profanes en firent un sujet de raillerie ; l’autre fut d’animer le peuple [6]. M. Ancillon en avoit la faveur, et s’il avoit voulu s’en servir, peut-être eût-il pu surmonter la mauvaise volonté de ses envieux ; mais, comme il ne croyait pas qu’un fidèle pasteur dût s’établir à la faveur d’une division du troupeau et de ses ministres, que toute sa vie il avoit esté ennemi des partis, et qu’il avoit déclamé contre les cabales et les factions, il ne voulut pas profiter de la disposition dans laquelle le peuple estoit à son égard, ni le laisser agir... Ayant donc fait toutes les tentatives que la charité et l’honnêteté lui avoient suggérées, pour ramener ces deux hommes à leur devoir, il prit la résolution de quitter Hanau, dès que ce lieu, qu’il avoit regardé comme un refuge tranquille ou un port assuré dans lequel il avoit este jeté par la tempeste, fut devenu pour lui un champ de bataille, où il falloit combattre sans cesse, et où sa patience, qui avoit déjà soutenu plusieurs grandes épreuves, pouvoit être enfin vaincue, il l’abandonna... [7]. Il sortit donc de Hanau sans bruit, lorsqu’on s’y attendoit Le moins, ou plutôt il permit qu’on l’arrachât d’entre les mains de ses envieux et de ses amis [8]. Les uns, le tenant, pour ainsi dire, d’une main, le maltraitoient ; les autres, le tenant

  1. Discours sur la Vie de M. Ancillon, pag. 75 et suiv.
  2. Là même, pag. 354.
  3. Là même, pag. 356.
  4. L’un était veuf de la sœur, et l’autre actuellement mari de la nièce de M. Ancillon. Discours sur la Vie de M. Ancillon, pag. 353.
  5. Là même, pag. 357.
  6. Là même, pag. 359.
  7. Là même, pag. 360.
  8. Là même, pag. 351.