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ANDRÉ.

quer à dire les leçons à ses escholiers, il envoyoit Nouvelle sa fille en son lieu lire aux escholes en chayere ; et afin que la biauté d’elle n’empescheast la pensée des oyans, elle avoit une petite courtine au devant d’elle : et par celle manière suppleoit et allegeoit aucunes fois les occupations de son père, lequel l’ama tant, que pour mettre le nom d’elle en mémoire, fit une notable lecture d’un livre de lois que il nomma du nom de sa fille la Nouvelle [1]. Il est étrange qu’une chose de cette nature, si rare, si singulière, ne se trouve pas dans tous les auteurs qui traitent de Jean André, ou du moins dans la plupart ; et j’avoue que cela me tient un peu en balance, si je la dois croire ou non. Mais en tout cas ce pourrait être la matière d’un joli problème : on pourrait examiner si cette fille avançait ou si elle retardait le profit de ses auditeurs, en leur cachant son beau visage. Il y aurait cent choses à dire pour et contre là-dessus. Je crois bien que les écoliers se seraient trop amusés à regarder sa beauté, et que cela leur eût causé des distractions : mais d’ailleurs, on écoute beaucoup mieux ce qui sort d’une belle bouche, on s’en laisse plus toucher, plus persuader ; et vous voyez des femmes qui, pour dévorer des yeux un prédicateur qui a bonne mine et bonne grâce, n’en retiennent pas moins ce qu’il dit. Ce qu’un ancien poëte remarque de la vertu, qu’elle plaît davantage dans un beau corps [2], se peut dire de la science. Quoi qu’il en soit, si la fille du professeur Jean André mettait un rideau entre elle et ses auditeurs afin que les traits de sa beauté ne blessassent point leur cœur et n’interrompissent point leur attention, elle leur faisait un grand sacrifice dont ils se seraient bien passés. Apparemment ils auraient pris beaucoup de plaisir à la voir ; et de son côté elle n’aurait pas été fâchée d’être vue, si elle n’avait préféré leur profit à sa propre satisfaction. Tout cela est vraisemblable et de l’ordre naturel, puisqu’elle n’était point de ces savantes qui ont sujet de dire, comme Sappho,

Si mihi difficilis formam natura negavit,
Ingenio formæ damna rependo meæ [3] :

c’est-à-dire,

Si je n’ai pas reçu des mains de la nature
Un visage bien fait,
Mon esprit assez beau répare avec usure
Ce tort qu’elle m’a fait.

Voyez ci-dessous la remarque (D).

(D) Son fils naturel Banicontius publia quelques livres. ] C’était le nom de son aïeul. Les livres qu’il publia, sont : De Privilegiis et Immunitate Clericorum ; de Accusationibus et Inquisitionibus ; de Appellationibus. Je tire cela de Panzirole.

(E) Il adopta Calderin et lui fit épouser sa fille Novella. ] L’ancien usage des adoptions n’aurait point souffert un tel mariage [4] ; et peut-être ne faut-il entendre autre chose par l’adoption de Calderin, si ce n’est que Jean André le fit son gendre. On prétend que Calderin consultait souvent sa femme : Is conjugem velut eruditis parentibus (Milantia femme de Jean André était savante) ortam, prudentem nactus, sæpè ob sapientiam consulere consueverat [5]. Mais s’il faut juger des autres matières sur lesquelles il recourait à cet oracle domestique ; s’il en faut, dis-je, juger par celle dont Calderin a fait mention, nous n’y verrons rien qui réponde à l’idée que Christine de Pise nous a donnée de Novella : il n’y a guère de femme qui ne puisse passer pour aussi habile que celle-là. Voici le fait : Calderin demanda un jour à son épouse, si celui qui a convié à un repas doit envoyer avertir les conviés, quand l’heure de manger est venue ? Elle lui répondit, qu’il fallait en user ainsi envers les dames et envers les étrangers ; mais non pas envers les autres, à moins que ce ne fussent des personnes d’importance. Voyez les railleries de Francois Hotman sur ce sujet. Verùm enimverò medius fidius, dit-il

  1. Cité des Dames de Christine de Pise, part. II, chap. XXXVI.
  2. Gratior et pulchro veniens in corpore virtus.
    Virgil., Æneïd., lib. V, vs. 344.

  3. Ovidius, Epist. Sapph. vs. 31.
  4. Octaviam Claudius antequàm Neroni traderet, ne sororem is suam ducere videretur, Claudii et ipse filius adoptivus, in aliam familiam adoptandam dedit. Torrentius in Suetonium, Claudii, cap. XXXV, ex Xiphil. et Zonarâ.
  5. Panzirol., lib. III, cap. XXI.