Page:Bayle - Dictionnaire historique et critique, 1820, T10.djvu/427

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
417
MÉTELLUS.

nous conte qu’après les funestes guerres que les Romains eurent avec les Gaulois, on mit en réserve à Rome certaines sommes d’argent auxquelles il était défendu de toucher sous la peine d’une exécration publique, si ce n’est en cas de guerre contre les Gaulois. On allégua à César que leurs ancêtres avaient donné la malédiction de la patrie à quiconque toucherait à cet argent, hors le cas de cette nécessité. Il se moqua de cette malédiction, et dit qu’ayant subjugué les Gaules, il avait délivré Rome de l’engagement où elle pouvait s’être mise lorsqu’elle fonda cette épargne. Lucain a fait une réflexion ingénieuse à la vérité, mais un peu forcée, ce me semble. Il dit que les lois, les priviléges, la liberté, tiennent moins au cœur que l’argent, et que ce ne fut que pour l’amour de ce trésor que l’on essaya de résister à la force [1]. Il parle des oppositions de Métellus.

(C) Le tribun ne résista plus. ] Lucain suppose que Métellus cherchait la gloire d’être immolé à la violence du tyran ; mais que César ne le crut point digne de cet honneur, et qu’il lui dit :

..... Vanam spem mortis honestæ
Concipis : haud (inquit) jugulo se polluet isto
Nostra, Metelle, manus. Dignum te Cæsaris irâ
Nullus honor facit, te vindice tuta relicta est
Libertas ? non usquè adeò permiscuit imis
Longus summa dies, ut non, si voce Metelli
Serventur leges, malint à Cæsare tolli [2].


Ce poëte suppose une autre chose ; c’est que Métellus ne se retira qu’après les solides remontrances de Cotta. La liberté, disait Cotta, ruine la liberté, lorsque le pouvoir monarchique la talonne ; et si vous voulez ne la point perdre tout-à-fait, si vous souhaitez d’en retenir à tout le moins l’ombre, faites semblant de vouloir ce qu’on vous commande. Cette pensée est très-belle : Lucain l’exprime noblement.

..... Tum Cotta Metellum
Compulit audaci nimium desistere cœpto.
Libertas, inquit, populi quem regna coercent,
Libertate perit ; cujus servaveris umbram,
Si, quicquid jubeare, velis [3].

(D) César...... déguise de telle sorte cette action dans son Histoire de la Guerre civile. ] C’est plutôt une suppression totale qu’un déguisement ; car bien loin de convenir qu’il se servit de menaces contre Métellus, et qu’il enleva malgré lui l’argent de l’épargne, il déclare qu’il sortit de Rome pour ne s’embarrasser pas long-temps dans les chicanes que ses ennemis lui faisaient par le moyen de Métellus. N’est-ce pas insinuer qu’il fut si bénin et si débonnaire, qu’il aima mieux quitter la partie que de lutter contre ce tribun du peuple ? Subjicitur etiam L. Metellus, tribunus plebis, ab inimicis Cæsaris, qui hanc rem distrahat, reliquasque res quascunque agere instituerit, impediat. Cujus cognito consilio, Cæsar frustrà diebus aliquot consumptis, ne reliquum tempus omittat, infectis iis quæ agere destinaverat, ab Urbe proficiscitur [4]. S’il fait mention du trésor public, ce n’est pas pour dire qu’il y ait touché, c’est pour dire que le faux bruit de son arrivée effraya de telle sorte ses ennemis, que le consul Lentulus, qui était allé à l’épargne pour en tirer l’argent qui s’y trouverait, afin de l’envoyer à Pompée, partit de la main sans avoir rien exécuté. Selon toutes les éditions de César, la peur de ce consul fut si grande, qu’elle ne lui permit pas de refermer le trésor public [5] ; mais un critique d’assez bon goût [6] est d’avis qu’on rectifie ce passage par l’insertion de la particule non : et alors le sens de César sera que le consul prit la fuite avant que d’avoir ouvert l’épargne. Suivant les éditions, César dirait une chose fort éloignée de ce que tous les autres historiens assurent : ils remarquent, ou qu’il fit enfoncer les portes du trésor public, ou qu’il menaça de

  1. Usque adeò solus ferrum, mortemque timere
    Auri nescit amor : pereunt discrimine nullo
    Amissæ leges : sed pars vilissima rerum
    Certamen movistis opes.......
    Lucan., Phars., lib. III, vs. 118.

  2. Ibidem, vs. 134.
  3. Ibidem, vs. 143.
  4. Cæsar., de Bello civ., lib. I, pag. m. 250.
  5. Quibus rebus Romam nunciatis tantus repentè terror invasit, ut cùm Lentulus consul ad aperiendum ærarium venisset ad pecuniam Pompeio ex senatusconsulto proferendam, protinùs aperto sanctiore ærario ex urbe profugeret, Cæsar enim adventare jamjamque, et adesse ejus equites falso nunciabantur. Ibidem, pag. 239.
  6. Philippe Rubeins, Elector., lib. I, cap. XXIV, apud Vossium, de Hist. lat., pag. 63, veut qu’on lise protinus non aperto.