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MAHOMET.

ne l’est pas dans le Ier. On pourrait le prétendre, si Dieu faisait de nouvelles lois au IVe. siècle : mais ne fondez-vous pas la justice de votre conduite, depuis Constantin jusqu’au temps présent, sur ces paroles de l’Évangile Contrains-les d’entrer[1], et sur le devoir des souverains ? Vous auriez donc dû, si vous l’aviez pu, user de contrainte dès le lendemain de l’Ascension. Bellarmin, et plusieurs autres écrivains du parti de Rome, lui avoueraient cela ; car ils disent que [2] si les chrétiens ne déposèrent pas Néron et Dioclétien, c’est parce qu’ils n’avaient pas les forces temporelles pour le faire, et que quant au droit ils le pouvaient faire, étant tenus de ne point souffrir sur eux un roi qui n’est pas chrétien, s’il tâche de les détourner de la foi[3]. Ils étaient donc obligés à se donner un souverain qui établît l’Évangile, et qui ruinât le paganisme par la voie de l’autorité. M. Jurieu ne s’éloigne pas du sentiment de Bellarmin, il enseigne que la plupart des premiers chrétiens n’étaient patiens que par faiblesse et par impuissance[4] ; et quoiqu’il ne blâme pas la conduite qu’ils ont tenue de ne point prendre les armes contre leurs princes, il juge qu’ils avaient droit de le faire, et que s’ils les eussent prises, on ne les en pourrait pas blâmer. Il approuverait sans doute que, s’ils l’eussent pu, ils eussent mis sur le trône un Constantin et un Théodose dès le siècle de Néron. Notez, je vous prie, qu’il ne rapporte pas comme un simple fait la manière dont le paganisme a été ruiné, mais comme une chose juste : car il la compare avec la conduite des protestans, et avec celle que les princes catholiques tiendront bientôt, à ce qu’il prétend, pour ruiner l’église romaine. Les trois exemples qu’il donne de la voie de l’autorité légitimement employée, sont celui des rois d’Israël, celui des empereurs chrétiens, et celui des princes réformés[5]. Ceux-ci, dit-il [6], ont aboli le papisme dans leurs états en lui ôtant les chaires, en y mettant des docteurs sains en la doctrine, et purs pour les mœurs, en brûlant les images, en faisant enterrer les reliques, en interdisant tout culte idolâtre. Bien loin qu’en faisant cela ils aient fait contre la loi de Dieu, ils ont entièrement suivi ses ordres. Car c’est sa volonté que les rois de la terre dépouillent la bête et brisent son image. Jamais aucun protestant jusqu’ici n’y a trouvé à redire, et jamais aucun esprit droit ne comprendra la chose autrement. Les choses ont toujours été ainsi, et s’il plaît à Dieu, elles iront toujours de même, malgré nos libertins ou nos imprudens. Consultez la page 284 de son livre, vous y trouverez ces paroles mémorables : pour le petit profit que vous en tireriez aujourd’hui[7], l’église en souffrirait de grandes pertes, et vous-même peut-être, dans quelques années, seriez obligé de vous dédire, et vous le feriez sans doute. Car si les rois de France et d’Espagne venaient à se servir de leur autorité pour chasser le papisme de leurs états, comme ont fait les rois d’Angleterre et de Suède, bien loin de les blâmer et de le trouver mauvais, vous le trouveriez fort bon. Soyez assuré que cela doit arriver ainsi ; car le Saint-Esprit dit que les rois de la terre qui ont donné leur puissance à la bête la lui ôteront ; qu’ils la dépouilleront, et qu’ils mangeront sa chair. C’est l’autorité des rois de l’Occident qui a bâti l’empire du papisme, ce sera leur autorité qui le détruira. Et cela sera entièrement conforme au dessein de Dieu et à sa volonté : c’est pourquoi nous n’aurons aucun lieu d’y trouver à redire. Afin donc d’être toujours uniformes dans vos sentimens, soyez dans la vérité qui ne change jamais, et ne les réglez point selon les intérêts qui changent tous les jours. Vous voyez bien qu’il établit comme un principe immuable et de tous les temps, que la voie de l’autorité est

  1. Voyez, sur tout ceci, le Commentaire philosophique sur Contrains-les d’entrer, Ire. part., chap. VII.
  2. Bellarmin, de Rom. Pont., lib. V, cap. VII, § quod si, cité par Daillé, Réplique à Adam, IIe. part., chap. XXI, pag. 125.
  3. Bellarmin., ibidem, § probatur hujus, cité par Daillé, là même.
  4. IXe. lettre pastorale de l’an 16, pag. 202, édit. in-12.
  5. Droits des deux Souverains, pag. 281.
  6. Là même.
  7. C’est-à-dire, de ce que la cour de France serait persuadée qu’il faut tolérer les fausses religions.