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DE LA PREMIÈRE ÉDITION.

beaucoup d’étendue, tous les électeurs, tous les princes et tous les comtes de l’empire ; leurs alliances, leurs intérêts, leurs principales actions. Vous y verrez par cet endroit-là les pays du Nord, et le reste de l’Europe protestante[* 1]. J’ai donc cru qu’il fallait que je me tusse sur ces grands sujets, afin de n’exposer les lecteurs à la fâcheuse nécessité d’acheter deux fois les mêmes choses. Je me suis même vu gêné à l’égard des hommes savans du XVIe. siècle ; car je savais que M. Teissier faisait imprimer, avec de nouvelles additions, les commentaires qu’il a ramassés si curieusement sur les éloges tirés de M. de Thou [1]. Je craignais toujours, en parlant de ces savans, que les faits que j’en dirais ne fussent les mêmes que ceux de M. Teissier ; et cette pensée m’a souvent déterminé à supprimer mes recueils.

Je ne fais point tout ce long détail afin de fournir à mes amis la matière d’une apologie contre ceux qui mépriseront mon Dictionnaire, et qui diront : Fallait-il faire traîner si long-temps la composition d’un tel ouvrage ? On en pardonnerait les défauts si l’auteur n’eût mis que peu de mois à le composer ; mais un si petit effet d’un si long travail ne mérite point de grâce. On ne supporte que la lenteur qui fait produire un chef-d’œuvre [2]. Mes amis pourraient répondre que les écrivains les plus diligens auraient de la peine à grossir leur compilation avec plus de promptitude, s’ils s’interdisaient les matières les plus abondantes et les plus aisées, ce qu’ils savent que d’autres ont compilé, et ce qu’ils prévoient que d’autres compileront. Mais je ne souhaite point qu’en ma faveur on allègue ces excuses. Ce que j’ai dit ne tend qu’à resoudre les questions que l’on pourra faire : Pourquoi il marque tant de grands sujets dans mon livre ; pourquoi l’on y trouve tant de sujets inconnus, tant de noms obscurs ; pourquoi tant de sécheresse à certains égards, tant de profusion à certains autres ? S’est-on assez méconnu pour prétendre pouvoir faire ce que Pline a cru extrêmement difficile [3] ? etc. Soit renvoyé au détail que je donne ci-dessus : on y verra la solution de tous ces doutes.

J’avoue de bonne foi que les auteurs laborieux et diligens auront lieu de me regarder comme un écrivain peu actif. J’ai mis plus de quatre années à la composition de ces deux volumes [4]. D’ailleurs ils sont parsemés de longs passages qui ne m’ont dû rien coûter : rien de ce que je dis de mon chef ne sent un

  1. * En voici le titre : Dessein d’un nouveau Dict. historique, géographique, chronologique et philologique, Celle, 1694, in-fol. L’auteur, âgé de soixante-six ans, promettait de corriger les erreurs de Moréri : il annonçait avoir fait le t. 1er., et recueilli les matériaux des autres. Il n’en a rien paru. Chappuzeau est mort en 1701, aveugle et dans l’indigence. C’était un mauvais poëte, un méchant traducteur, un pitoyable historien.
  1. Cette seconde édition a paru l’an 1696. [Il y en a une quatrième de 1715, 4 vol. in-12.]
  2. Diù parturit leæna catulum, sed leonem.
  3. Res ardua vetustis novitatem dare novis auctoritatem, obsoletis nitorem, obscuris lucem, fastiditis gratiam, dubiis fidem. Plin., in præfat., Nat. Hist.
  4. J’ai commencé cet ouvrage au mois de juillet 1692, et l’ai achevé au mois d’octobre 1696.