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PRÉFACE

auteur qui retouche son travail, et qui châtie la licence de ses premières pensées et du premier arrangement de ses paroles. Qu’on juge donc que je suis trop lent, je ne le trouverai pas étrange ; je n’ignore pas que cela est vrai : j’en aide la honte, et j’en serais beaucoup plus confus si je ne savais qu’une santé fort souvent interrompue, et qui me demande beaucoup de ménagemens, ne me permet pas de faire ce qu’on voit exécuter à des auteurs bien robustes et qui aiment le travail. Je sais d’ailleurs que la servitude de citer, à laquelle je me suis assujetti [1], fait perdre beaucoup de temps, et que la disette prodigieuse des livres qui m’étaient fort nécessaires accrochait ma plume cent fois le jour. Il faudrait pour un ouvrage comme celui-ci la plus nombreuse bibliothéque qui ait jamais été dressée : au lieu de cela, j’ai très-peu de livres [2]. L’oserai-je confesser ? Le style est une autre cause de ma lenteur : il est assez négligé ; il n’est pas exempt de termes impropres et qui vieillissent, ni peut-être même de barbarismes : je l’avoue, je suis là-dessus presque sans scrupules. Mais en récompense je suis scrupuleux jusqu’à la superstition sur d’autres choses plus fatigantes [3]. Les plus grands maîtres, les plus illustres sujets de l’Académie française, se dispensent de ces scrupules, et nous n’avons guère que trois ou quatre écrivains qui ne s’en soient pas guéris. C’est donc pour moi une grande mortification, de ne me pouvoir mettre au-dessus de ces vétilles qui font perdre beaucoup de temps, et qui gâtent même quelquefois les agrémens vifs et naturels de l’expression, quand on la corrige sur ce pied-là. Je suis si peu capable de secouer ce pesant joug, qu’au cas qu’on réimprime ce Dictionnaire, mon principal soin sera très-assurément de rectifier, selon les lois rigoureuses de notre grammaire, toutes les fautes de langage qui sont demeurées dans cette édition [4]. Il en est resté un très-grand nombre ; car pendant la première année de mon travail je m’attachais beaucoup moins à ces scrupules : ainsi l’on trouvera des articles répandus dans tout l’ouvrage qui choquent les règles superstitieuses dont j’ai parlé : ils furent faits en ce temps-là, et je n’ai pas eu le loisir de les refondre quand il a fallu les donner aux imprimeurs. On pourra trouver de semblables fautes par tout l’ouvrage, soit qu’attentif à quelque autre chose je ne les aie pas remarquées en corrigeant les épreuves, soit que les impri-

  1. Je cite les pages, lors même que je renvoie à d’autres endroits de mon dictionnaire.
  2. On m’en a prêté quelques-uns fort obligeamment : j’en ai beaucoup de reconnaissance ; et je mettrais ici volontiers le nom et l’éloge de ceux qui ont eu cette bonté si je ne craignais de blesser leur modestie.
  3. Comme d’éviter les équivoques, les vers, et l’emploi dans la même période d’un on, d’un il, de pour, de dans ; etc., avec différens rapports : de faire qu’un il, au commencement d’une période, se rapporte non à un cas oblique, mais à un nominatif de la précédente, etc.
  4. Notez qu’il ne m’a pas été possible d’effectuer cette promesse dans la seconde édition. Les imprimeurs ne me donnaient point le temps nécessaire à bien revoir le premier travail, et à fournir le nouveau, c’est-à-dire les additions, qui ont été en grand nombre.