Page:Bayle - Dictionnaire historique et critique, 1820, T16.djvu/18

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée
7
DE LA PREMIÈRE ÉDITION.

meurs n’aient pas pu m’accorder le temps qui m’eût été nécessaire pour raccommoder ce qui ne me plaisait pas. Les bons avertissemens que m’a donnés M. Drelincourt, et ses corrections justes et fines, que j’ai eu soin de marquer aux marges de mon exemplaire, me seront d’une utilité infinie en revoyant cette édition [1].

Ce que doivent considérer ceux qui trouveront que l’on n’a pas mis assez de temps à composer ce Dictionnaire.

Voilà ce que j’avais à représenter à ceux qui pourront trouver étrange que ce Dictionnaire m’ait coûté un si long temps. Mais il ne faut pas que je néglige ceux qui pourraient croire que je me suis trop hâte. Il y a plusieurs personnes qui s’étonneront qu’on ait pu faire dans moins de cinq ans deux si gros volumes in-folio. Bien des auteurs n’achèvent un petit livre que dans un an, soit qu’ils traitent comme des pensées, et comme des expressions de rebut, tout ce qu’ils produisent sans une longue méditation ; soit qu’ils aient des affaires qui les arrachent souvent de leur cabinet ; soit qu’une paresse naturelle ou une obéissance trop scrupuleuse au précepte qu’ils ont appris au collége,

Interpone tuis interdum gaudia curis, etc.


les engagent à de fréquentes interruptions de leur travail. Ces messieurs-là se préviennent aisément contre un ouvrage qui n’a pas coûté beaucoup de temps ; et ils ne jugent pas qu’il en ait coûté beaucoup, si cent feuilles d’impression n’ont pas demandé trois ou quatre années. Ils m’appliqueront sans doute le canis festinans cæcos edit catulos, et ils se confirmeront dans leur préjugé par la lecture du détail qu’ils auront vu ci-dessus. Ils rabattront du travail donné aux choses tout le temps que j’ai donné à couper les vers [2], et à l’unité des relatifs. Il savent que c’est un soin long et pénible, et qu’il n’y a rien qui demande plus de patience qu’un bon tissu de citations. Ils ne croiront pas que, sous prétexte qu’il y a beaucoup de matières étrangères dans cet ouvrage, je puisse dire que sans me hâter je l’ai fait croître en peu de temps, car, diront-ils, une juste application d’une infinité de passages est plus pénible qu’un long attirail de raisonnemens et de réflexions [3]. Il faut chercher ces passages, il faut les lire avec attention, il faut les placer à propos, il les faut lier avec vos propres pensées, et les uns avec les autres. Il est impossible d’aller vite, quand on fait cela parfaitement bien. Je le leur accorde : mais je les prie de même pas appliquer le canis festinans, etc. avant que de m’avoir lu. La voie des préjugés est trompeuse ; et s’ils veu-

  1. Professeur en médecine à Leyde. Voyez ce qui a été dit de son exacte connaissance de la langue française, tom. VI, pag. 11, col. 2. Il m’a fourni aussi plusieurs remarques d’érudition.

    Notez que par la raison alléguée dans la précédente note, je n’ai guère pu en profiter, non plus que des autres que j’avais ma aux marges.

  2. La prose française est toute pleine de vers, si l’on n’est en garde continuellement contre ce défaut.
  3. Voyez la rem. (E) de l’article d’Épicure, t. VI, pag. 174.