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PRÉFACE

lent des préjugés favorables, je leur dirai que je me souviens aussi bien qu’eux du distique de Caton,

Interpone tuis interdum gaudia curis etc.


mais que je m’en sers très-peu. Divertissemens, parties de plaisir, jeux, collations, voyages à la campagne, visites, et telles autres récréations nécessaires à quantité de gens d’étude, à ce qu’ils disent, ne sont pas mon fait ; je n’y perds point de temps. Je n’en perds point aux soins domestiques, ni à briguer quoi que ce soit, ni à des sollicitations, ni à telles autres affaires. J’ai été heureusement délivré de plusieurs occupations qui ne m’étaient guère agréables, et j’ai eu le plus-grand et le plus charmant loisir qu’un homme de lettres puisse souhaiter. Avec cela un auteur va loin en peu d’années ; son ouvrage peut croître notablement de jour en jour, sans qu’on s’y comporte négligemment.

III. Éclaircissemens sur la manière de citer que l’on a suivie.

Je ne doute point que la méthode que j’ai suivie en rapportant les passages des auteurs ne soit critiquée. Plusieurs diront que je n’ai cherché qu’à faire un gros livre à peu de frais. Je cite souvent de très-longs passages : quelquefois j’en donne le sens en notre langue, et puis je le rapporte, et en grec et en latin. N’est-ce pas multiplier les êtres sans nécessité ? Fallait-il copier une longue citation d’un auteur moderne que l’on trouve chez tous les libraires ? Fallait-il citer Amyot en son vieux gaulois ? Pour bien répondre à ces critiques, je ne crois pas qu’il soit nécessaire de nier que leurs objections ne soient spécieuses. Je leur avoue qu’elles sont plausibles, et qu’elles m’ont tenu en balance assez long-temps ; mais enfin des raisons encore plus spécieuses m’ont déterminé au choix que j’ai fait. J’ai considéré qu’un ouvrage comme celui-ci doit tenir lieu de bibliothéque à un grand nombre de gens. Plusieurs personnes qui aiment les sciences n’ont pas le moyen d’acheter les livres : d’autres n’ont pas le loisir de consulter la cinquantième partie des volumes qu’ils achètent. Ceux qui en ont le loisir seraient bien fâchés de se lever à tout moment pour aller chercher les instructions qu’on leur indique. Ils aiment mieux rencontrer dans le livre même qu’ils ont sous les yeux les propres paroles des auteurs qu’on prend pour témoins. Si l’on n’a pas l’édition citée, on se détourne pour long-temps ; car il n’est pas toujours aisé de trouver dans son édition la page qu’un auteur cite de la sienne. Ainsi, pour m’accommoder aux intérêts des lecteurs qui n’ont point de livres, et aux occupations ou à la paresse de ceux qui ont des bibliothéques, j’ai fait en sorte qu’ils vissent en même temps les faits historiques et les preuves de ces faits, avec un assortiment de discussions et de circonstances qui ne laissât pas à moitié chemin la curiosité. Et parce qu’il s’est commis beaucoup de supercheries dans les citations des auteurs, et que ceux qui abrègent de bonne foi un