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DE LA PREMIÈRE ÉDITION.

passage n’en savent pas conserver toujours toute la force, on ne saurait croire combien les personnes judicieuses sont devenues défiantes. Je puis dire avec raison que c’est une espèce de témérité en mille rencontres que de croire ce qu’on attribue aux auteurs, lorsqu’on ne rapporte pas leurs propres paroles. C’est pourquoi j’ai voulu mettre en repos l’esprit du lecteur ; et pour empêcher qu’il ne soupçonnât ou subreption ou obreption dans mon rapport, j’ai fait parler chaque témoin en sa langue naturelle ; et au lieu d’imiter le Castelvetro, qui finissait ses citations par et cætera, avant même qu’il eût copié l’endroit nécessaire, j’ai allongé quelquefois cet endroit-là, et par la tête, et par la queue, afin que l’on comprît mieux de quoi il était question, ou que l’on apprît incidemment quelque autre chose. Je sais bien que cette conduite serait absurde dans un petit traité de morale, dans une pièce d’éloquence, ou dans une histoire ; mais elle ne l’est point dans un ouvrage de compilation tel que celui-ci, où l’on se propose de narrer des faits, et puis de les illustrer par des commentaires. Ces allongemens seraient blâmables, s’ils faisaient qu’au lieu d’un volume il y en eût deux, ou qu’au lieu d’un livre à la poche ce fût un in-folio ou un in-quarto ; mais ne s’agissant que de voir si un tome in-folio sera plus long ou plus court de quelques feuilles, ce n’est pas la peine de se gêner. Qu’il n’ait que 250 feuilles, il n’aura pas mieux les commodités d’un petit livre que s’il contient 330 feuilles ; car il faut bien remarquer que ces gros livres ne sent pas faits pour être lus page à page. Ils coûteraient un peu moins s’ils n’avaient que 200 feuilles, me dira-t-on. Je réponds que si un libraire se conduisait par cette règle, il n’imprimerait jamais un ouvrage de plusieurs volumes, ne continssent-ils que des essences de pensée, sans aucune syllabe de trop ; car ils seraient toujours trop chers pour les personnes mal accommodées. La peine de traduire Amyot ou Vigenère en nouveau français n’eût servi de rien ; il suffit que mon lecteur puisse entendre les faits qu’ils racontent.

Éclaircissement sur les citations de Brantôme et semblables.

Les gens graves et rigides blâmeront surtout les citations de Brantôme ou de Montagne, qui contiennent des actions et des réflexions trop galantes. Il faut dire un mot là-dessus. Quelques personnes de mérite, qui prenaient à cœur les intérêts du libraire, ont jugé qu’un aussi gros livre que cet ouvrage, farci de citations grecques et latines en divers endroits, et chargé de discussions peu divertissantes, effraierait les lecteurs qui n’ont point d’étude, et ennuierait les gens doctes ; qu’il était donc à craindre que le débit n’en tombât bientôt, si l’on n’attirait la curiosité de ceux mêmes qui n’entendent pas le latin. On me fit comprendre qu’un ouvrage qui n’est acheté que par les savans ne dédommage presque jamais celui qui l’imprime, et que s’il y a du profit à faire dans une