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DE LA PREMIÈRE ÉDITION.

de France, car elles ont été revues par l’un des plus habiles auteurs de ce siècle. Je parle de M. le Clerc, dont toute l’Europe admire la profonde érudition, soutenue d’un esprit juste et pénétrant et d’un jugement exquis. Il y a corrigé un nombre infini de fautes, et il y a fait de très-belles additions : et personne n’aurait été plus propre que lui à perfectionner cet ouvrage-là, si des occupations plus relevées et plus importantes lui avaient permis de prendre ce soin. Je ne saurais souffrir l’injuste caprice de ceux qui se plaignent des fréquentes éditions de Moréri, et qui regardent comme des empoisonneurs publics les libraires qui les procurent. :

VI. Pourquoi l’auteur met son nom à la tête de cet ouvrage.

Ceux qui verront mon nom à la tête de ce livre, et qui sauront que pendant le cours de l’impression j’ai dit en toutes rencontres que je ne l’y mettrais pas, méritent un petit coin dans cette préface. Non-seulement j’ai dit cela en cent occasions, mais je l’ai écrit en divers endroits [1], et plusieurs personnes savent que tous mes amis ont fortement combattu ma résolution, sans que les raisons innombrables que la fécondité de leur génie et leur bonté généreuse leur suggéraient aient rien gagné sur moi. Je ne blâme point ceux qui se nomment à la tête de leurs ouvrages ; mais j’ai toujours eu une antipathie secrète pour cela. On ne donne point raison des antipathies non plus que des goûts ; cependant je pourrais dire que la réflexion a fortifié en moi la disposition naturelle. Cette sage indifférence, que l’ancienne philosophie a tant prêchée, m’a toujours plu. Cet illustre qui travaillait plus à être honnête homme qu’à le paraître [2], toujours en peine comment il pratiquerait la vertu, jamais en peine s’il en serait loué, m’a semblé depuis long-temps un très-beau modèle, et jamais aucune censure ne m’a paru plus sensée que celle qu’on employa contre certains philosophes qui mettaient leur nom à des traités où ils condamnaient le désir des louanges [3]. En effet ; pourquoi blâmez-vous ceux qui courent après la réputation, si vous publiez vous-même que vous condamnez cette faiblesse ? En conséquence de ces idées, rien ne m’a semblé plus beau que d’étendre sur tous les services qu’on tâche de rendre au public le même désintéressement qui se doit trouver, selon l’Évangile, dans les actes de charité. Voilà les maximes qui me portaient à ne pas mettre mon nom à la tête de ce Dictionnaire. Les médisans ne m’en croiront point ; ils se persuaderont que mes scrupules

  1. C’est-à-dire dans des lettres missives.
  2. Vir bonus esse quàm videri malebat.

    Voyez la rem. (H) de l’article Amphiaraus, tom. Ier., pag. 512, et la rem. (L) de l’article César, tom. V, pag. 35.

  3. Cicéron rapporte le fait ; mais il n’est pas de ceux, qui le blâment. Ipsi illi philosophi etiam in illis libellis quos de contemnendâ gloriâ scribunt, nomen suum inscribunt : in eo ipso in quo prædicationem nobilitatemque despiciunt, prædicari de se ac nominari volunt. Cicero pro Archiâ poëtâ, fol. m. 164, D. Voyez-le aussi Tuscul. Quæst., lib. I, fol. 247, D ; et Valère Maxime, lib. VIII, cap. XIV, num. 3, in extran.