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SUR LA SECONDE ÉDITION.

bataille, etc. On souhaite outre cela de savoir quel était son caractère ; s’il excellait en courage comme Marcellus, ou en prudence comme Fabius le cunctateur ; s’il était plus propre à conquérir qu’à conserver ; si par trop de feu il s’éblouissait un jour de bataille, ou s’il demeurait tranquille dans le plus fort du péril ; par quel coup de tête il gagna une bataille qui était déja presque perdue ; par quelle faute il fut vaincu en une telle occasion. On souhaite encore de savoir si en effet il remporta la victoire, comme l’assurent les écrivains de son parti, ou s’il la perdit, comme l’assurent les écrivains du parti contraire. Ces disputes-là sont innombrables [1]. Je me croirais obligé de les discuter, et de mettre en parallèle les relations des deux partis, afin qu’en établissant pour principe les faits dont elles conviennent, soit à l’égard du combat, soit à l’égard de ses suites, on pût parvenir par la voie des conséquences à quelque sorte de certitude.

Par exemple, si je parlais du maréchal de Luxembourg, je voudrais marquer le caractère qui le distinguait des autres guerriers, donner quelques détails sur les occasions où il fit paraître ce en quoi il excellait, et ce en quoi ses talens étaient d’un ordre inférieur. J’éviterais les péchés de commission et d’omission que je trouve sur son chapitre dans le Dictionnaire de Moréri. Je ne dirais pas qu’il défit les armées de Hollande près de Bodegrave l’an 1672, qu’il prit Bodegrave [2] l’an 1673, qu’il fit lever le siége de Charleroi lan 1674. Car le premier de ces trois faits est une hyperbole inexcusable [3], et les deux autres sont absolument chimériques. Je ne dirais pas qu’en 1673, il passa au travers de l’armée ennemie au nombre de soixante et dix mille hommes, quoiqu’il n’en eût que vingt mille. C’est une hyperbole qu’on ne pardonnerait point aux poëtes. Je ne dirais pas qu’en 1678 il battit l’armée des Hollandais à St.-Denys proche de Mons ; mais j’examinerais le problème du gain de cette bataille. Je ne dirais pas qu’en 1692 il prit à Steinkerke le canon, le bagage, etc. des ennemis ; car c’est un fait manifestement réfuté par la propre relation qu’il fit lui-même de ce combat, et qui fut imprimée en France tout aussitôt. Je n’omettrais point la rébellion où il s’obstina depuis l’an 1649 jusqu’à la paix des Pyrénées. Je n’omettrais point sa campagne de Philisbourg [4], sous prétexte qu’il en fut mortifié. Je n’omettrais point sa prison de la Bastille, et je tâcherais de percer le voile épais sous lequel on tient couvertes les procédures de la chambre de l’Arsenal contre lui. Cela est d’autant plus à propos pour l’honneur de sa mé-

  1. L’origine bien souvent en est que par des raisons de politique on se sert du nom de victoire dans les premières relations d’un combat qui se vendent au milieu des rues. Ce titre, qui ne devrait être que passager, devient primordial. C’est comme un nom de baptême qu’on porte toujours. Conférez ce qui est dit, tom. XV, p. 184, 186.
  2. Notez que Bodegrave n’est qu’un village.
  3. Conférez l’article Bodegrave, [tom. III, p. 506.]
  4. En 1676.