Page:Beckford - Vathek 1787 Paris.djvu/31

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mais l’Indien, sans faire semblant de s’en appercevoir, buvoit des rasades à la santé de chacun, chantoit à tue-tête, contoit des histoires dont il rioit à gorge déployée, & faisoit des in-promptu qu’on auroit applaudis, s’il ne les eût pas déclamés avec des grimaces affreuses : durant tout le repas, il ne cessa de bavarder autant que vingt astrologues, de manger plus que cent porte-faix, & de boire à proportion.

Malgré qu’on eût couvert la table trente-deux fois, le Calife avoit souffert de la voracité de son voisin. Sa présence lui devenoit insupportable, & il pouvoit à peine cacher son humeur & son inquiétude ; enfin il trouva Le moyen de dire à l’oreille du chef de ses eunuques : tu vois, Bababalouk, comme cet homme fait tout en grand ; que feroit-ce s’il pouvoit arriver jusqu’à mes femmes ! Va, redouble de vigilance, & surtout prends garde à mes Circassiennes qui l’accommoderoient plus que toutes les autres.

L’oiseau du matin avoit trois fois renouvellée son chant, lorsque l’heure du Divan sonna : Vathek avoit promis d’y présider en personne. Il se lève de table, & s’appuie sur le bras de son visir, plus étourdi du tapage de son bruyant convive que du vin qu’il avoit bu ; ce pauvre prince pouvoit à peine se soutenir.