Page:Bergerat - Souvenirs d’un enfant de Paris, vol. 2, 1912.djvu/22

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Quand on raconte aujourd’hui aux « jeunesses » que L’Arlésienne, cette Arlésienne dont le titre seul sur l’affiche comble les salles, a été, au Vaudeville, en 1872, l’un des fours mémorables de notre histoire théâtrale, on passe à leurs yeux pour un ramoneur de paradoxes, vulgo : fumiste, en langue asphaltique. Et pourtant il n’en fut pas autrement, tous les survivants de cette première vous diront ce désastre. De L’Arlésienne, poème et musique, tout sombra, Alphonse Daudet ne s’en tira pas plus net que Georges Bizet, et pourtant, dites, ceux-là étaient des maîtres !

À cette époque, si Alphonse Daudet n’était pas encore illustre, il était déjà célèbre. Tartarin de Tarascon, publié, si je ne me trompe, en variété, par Le Figaro, avait agrandi et mis en pleine lumière le nom de l’auteur de Les Prunes, triolets fameux que Coquelin débitait dans toutes les soirées littéraires. On s’arrachait chez les libraires les aventures prodigieuses du Petit Don Quichotte provençal, comme l’avait appelé la critique et qui était le premier éclat de rire français qu’on entendit en Europe depuis la mortelle guerre et le sinistre siège. Alphonse Daudet avait écrit L’Arlésienne pour se réconcilier avec les gens de Provence, ses compatriotes, qu’il adorait d’ailleurs, et à qui la blague du tueur de lions tarasconnais avait semblé trop forte en galéjade tout de même. Elle l’avait à demi fâché avec les félibres et presque tout à fait avec Paul Arène qui avait le Midi intransigeant et farouche. Je puis certifier de visu que L’Arlésienne même n’apaisa pas la rancune ethnologique du poète de Jean-des-Figues contre son compagnon des premières années et qu’il