Page:Bergerat - Souvenirs d’un enfant de Paris, vol. 2, 1912.djvu/45

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jour. Je me rappelle qu’il en fascina un du nom hyperbolique de : Cinqualbre. — Ce n’est pas possible, lui disait Paul Arène, celui-là, tu l’imagines ! Il n’y a jamais eu, même en Quercy, un simple mortel du nom de Cinqualbre, et c’est tout simplement le titre du nouveau roman que tu nous limes dans l’ombre.

Il faut savoir — et on le sait d’ailleurs, car la plupart de ses romans sont des plus beaux — que Léon Cladel s’amusait et s’usait à leur trouver des intitulés agressivement rébarbatifs : « N’a-qu’un-œil », « Titi-Foyssac », « Montauban-tu-ne-le-sauras-pas », « Ompdrailles », et autres de pareil parisianisme. Il faut donc avouer que Paul Arène pouvait s’y méprendre et que « Cinqualbre » ne déparait pas la série.

Léon Cladel qui était de Montauban, comme le père Ingres lui-même, s’était gardé, à Paris, la tête ethnique et l’allure rustique des paysans de sa terre natale. Il promenait sur les boulevards une chevelure albigeoise qui lui flagellait les épaules et qu’il pouvait nouer en cravate sous sa barbe. Il n’a pas connu la cangue des faux-cols amidonnés et la seule concession qu’il ait jamais consentie à la mode est de ne point avoir fait ferrer ses souliers et sa canne. Il affectait un peu, je crois, cette apparence agricole et aussi la recherche de ses thèmes ruraux, avec lesquelles jurait son art d’écrivain quintessencié jusqu’à l’élixir verbal. Une période de prose de Cladel, travail d’alambic, est comme distillée goutte à goutte. Il n’a conquis que les artistes et surtout les poètes. Il tenait pour faute de style de commencer une phrase, non pas même par le même mot, mais par la même lettre, que les précédentes, et il y voulait un intervalle de