Page:Bergerat - Souvenirs d’un enfant de Paris, vol. 2, 1912.djvu/52

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
 Les corrections sont expliquées en page de discussion

Lyon, avec cet entrain cordial qu’il déployait en toutes choses et surtout en ses affections. À l’instant du départ, sur le quai, il m’avait impérieusement claironné à la portière du wagon : « Rapporte-moi cinq actes en vers. Je les attends !… » De telle sorte que, dès Fontainebleau, j’en avais déjà rimé la première scène. Je ne me réveillai qu’à Saint-Raphaël, où le train stoppa.

Sous les eucalyptus de la station, un grand escogriffe, emmanché à une pipe en terre de deux sous et traînant au bout d’un fil un drôle de petit terrier au museau écrasé, déambulait. Ce voyageur, aux guibolles d’échassier, longeait la file des voitures et il y cherchait visiblement un compartiment propice aux fumeurs et indulgent aux canophiles. Il ne portait d’ailleurs aucune valise. Sa canne était de celles qu’on coupe soi-même, au bord de la route, à un châtaignier, sans pomme ni virole, pastoralement rustique. L’accoutrement, très propre en ses élimements, paraissait être composé de pièces disparates, empruntées à divers costumes de tonalités indécises, de coupes contradictoires, où dominait l’arrogance d’un gilet fastueux, jadis brodé peut-être, que la brise gonflait sur le torse côtelé du personnage.

Assurément je le connaissais, mais où l’avais-je déjà vu, quand, et sous quelle conjonction d’astres ? Et tout à coup je me souvins : dans la loge de Coquelin même, à la première de Théodore de Banville, La Pomme, au Théâtre-Français. C’était Albert Glatigny, avec son inséparable Cosette.

Mais il y a de bizarres ressemblances, et peut-être me trompais-je ? Quel moyen de m’en assurer ? Il m’en vint un assez amusant, basé sur le culte intran-