Page:Bergerat - Souvenirs d’un enfant de Paris, vol. 2, 1912.djvu/53

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sigeant que le poète rendait aux maîtres de notre art, vénérés par lui à l’égard de dieux véritables. N’avait-il pas eu un duel avec Albert Wolf pour un mot déplaisant du chroniqueur contre l’auteur des Odes funambulesques ? Je me penchai donc à la portière et j’engageai d’abord, en « parler chien » où j’excelle — et qui forme, avec le sourd-muet, tout mon bagage en fait de langues étrangères — un dialogue d’onomatopées alliciantes où le terrier ne tarda pas à tenir sa partie. En deux bonds il fut dans mon compartiment et l’échassier l’y suivit. Le train avait repris sa course, de crique en crique. J’attendais un tunnel pour mon expérience. Il en vint un, et profitant de l’ombre :

— Oui, m’écriai-je, en feignant de converser avec quelque autre compagnon de route, oui, monsieur, la nouvelle est certaine, et je la tiens d’un nommé François Ponsard qui, depuis le trépas de notre Casimir Delavigne, est l’homme le mieux rimant de France.

— Aboie, fit une voix sarcastique dans une pipe. Et le chien « onomatopa » une plainte exercée. Je repris entre les ténèbres :

— Oui, monsieur… Mais ne fallait-il pas s’y attendre ?… Non seulement ce Victor Hugo a lâché son île, la rocheuse Guernesey, mais il s’est réconcilié avec l’Empire. On a donné aux Tuileries un bal en son honneur. L’Impératrice l’a ouvert elle-même aux bras de Théophile Gautier complètement chauve, tandis que Théodore de Banville abjurait aux mains de Prosper Mérimée l’hérésie de Ronsard et des poèmes à forme fixe. On met aussi sous presse un recueil posthume de Baudelaire, intitulé : Les Fruits