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Page:Bergson - L’Énergie spirituelle.djvu/160

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habitudes. Un souvenir est là : c’est un souvenir, car il porte la marque caractéristique des états que nous appelons communément de ce nom et qui ne se dessinent à la conscience qu’une fois leur objet disparu. Et pourtant il ne nous représente pas quelque chose qui ait été, mais simplement quelque chose qui est ; il marche pari passu avec la perception qu’il reproduit. C’est, dans le moment actuel, un souvenir de ce moment. C’est du passé quant à la forme et du présent quant à la matière. C’est un souvenir du présent.

Au fur et à mesure que la situation progresse, le souvenir, qui tient à côté d’elle, donne à chacune des étapes l’aspect du « déjà vu », du déjà connu. Mais cette situation, même avant d’être arrivée à son terme, nous semble devoir former un tout, étant découpée dans la continuité de notre expérience par l’intérêt du moment. Comment aurions-nous vécu déjà une partie de la situation si nous n’en avions pas vécu le tout ? Reconnaîtrions-nous ce qui se déroule si nous ne connaissions pas ce qui est encore enroulé ? Ne sommes-nous pas à même, tout au moins, d’anticiper, à chaque moment sur le moment suivant ? Cet instant qui va venir est déjà entamé par l’instant présent ; le contenu du premier est inséparable du contenu du second : si l’un est, à n’en pas douter, un recommencement de mon passé, comment l’instant à venir ne le serait-il pas également ? Je reconnais celui-là, je vais donc sûrement reconnaître celui-ci. Ainsi je me trouve sans cesse, vis-à-vis de ce qui est sur le point d’arriver, dans l’attitude d’une personne qui reconnaîtra, et qui par conséquent connaît. Mais ce n’est que l’attitude de la connaissance ; c’en est la forme sans la matière.