Page:Bergson - L’Énergie spirituelle.djvu/190

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de barbarie. Pourtant je n’en suis pas sûr, et tout ce que je puis affirmer est que l’impression laissée dans mon esprit était absolument sui generis, et qu’elle tendait, à travers mille difficultés, à se transformer en nom propre. C’étaient surtout les lettres d et r qui étaient ramenées à ma mémoire par cette impression. Mais elles n’étaient pas ramenées comme des images visuelles ou auditives, ou même comme des images motrices toutes faites. Elles se présentaient surtout comme indiquant une certaine direction d’effort à suivre pour arriver à l’articulation du nom cherché. Il me semblait, à tort d’ailleurs, que ces lettres devaient être les premières du mot, justement parce qu’elles avaient l’air de me montrer un chemin. Je me disais qu’en essayant, avec elles, des diverses voyelles tour à tour, je réussirais à prononcer la première syllabe et à prendre ainsi un élan qui me transporterait jusqu’au bout du mot. Ce travail aurait-il fini par aboutir ? Je ne sais, mais il n’était pas encore très avancé quand brusquement me revint à l’esprit que le nom était cité dans une note du livre de Kay sur l’éducation de la mémoire, et que c’est là d’ailleurs que j’avais fait connaissance avec lui. C’est là que j’allai aussitôt le chercher. Peut-être la résurrection soudaine du souvenir utile fut-elle l’effet du hasard. Mais peut-être aussi le travail destiné à convertir le schéma en image avait-il dépassé le but, évoquant alors, au lieu de l’image elle-même, les circonstances qui l’avaient encadrée primitivement.

Dans ces exemples, l’effort de mémoire paraît avoir pour essence de développer un schéma sinon simple, du moins concentré, en une image aux éléments distincts