Page:Bergson - L’Énergie spirituelle.djvu/32

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dans les deux cas la conscience nous apparaît comme une force qui s’insérerait dans la matière pour s’emparer d’elle et la tourner à son profit. Elle opère par deux méthodes complémentaires : d’un côté par une action explosive qui libère en un instant, dans la direction choisie, une énergie que la matière a accumulée pendant longtemps ; de l’autre, par un travail de contraction qui ramasse en cet instant unique le nombre incalculable de petits événements que la matière accomplit, et qui résume d’un mot l’immensité d’une histoire.


Plaçons-nous alors au point où ces diverses lignes de faits convergent. D’une part, nous voyons une matière soumise à la nécessité, dépourvue de mémoire ou n’en ayant que juste ce qu’il faut pour faire le pont entre deux de ses instants, chaque instant pouvant se déduire du précédent et n’ajoutant rien alors à ce qu’il y avait déjà dans le monde. D’autre part, la conscience, c’est-à-dire la mémoire avec la liberté, c’est-à-dire enfin une continuité de création dans une durée où il y a véritablement croissance, — durée qui s’étire, durée où le passé se conserve indivisible et grandit comme une plante, comme une plante magique qui réinventerait à tout moment sa forme avec le dessin, de ses feuilles et de ses fleurs. Que d’ailleurs ces deux existences, — matière et conscience, — dérivent d’une source commune, cela ne me paraît pas douteux. J’ai essayé jadis de montrer que, si la première est l’inverse de la seconde, si la conscience est de l’action qui sans cesse se crée et s’enrichit tandis que la matière est de l’action qui se défait ou qui s’use, ni la matière ni la conscience ne s’expliquent par elles-