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Page:Bergson - L’Énergie spirituelle.djvu/96

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obscurcissant tous nos souvenirs sauf un — sauf celui qui nous intéresse et que notre corps esquisse déjà par sa mimique — qu’il rappelle ce souvenir utile. Maintenant, que l’attention à la vie vienne à faiblir un instant — je ne parle pas ici de l’attention volontaire, qui est momentanée et individuelle, mais d’une attention constante, commune à tous, imposée par la nature et qu’on pourrait appeler « l’attention de l’espèce » — alors l’esprit, dont le regard était maintenu de force en avant, se détend et par là même se retourne en arrière ; il y retrouve toute son histoire. La vision panoramique du passé est donc due à un brusque désintéressement de la vie, né de la conviction soudaine qu’on va mourir à l’instant. Et c’était à fixer l’attention sur la vie, à rétrécir utilement le champ de la conscience, que le cerveau était occupé jusque-là comme organe de mémoire.

Mais ce que je dis de la mémoire serait aussi vrai de la perception. Je ne puis entrer ici dans le détail d’une démonstration que j’ai tentée autrefois : qu’il me suffise de rappeler que tout devient obscur, et même incompréhensible, si l’on considère les centres cérébraux comme des organes capables de transformer en états conscients des ébranlements matériels, que tout s’éclaircit au contraire si l’on voit simplement dans ces centres (et dans les dispositifs sensoriels auxquels ils sont liés) des instruments de sélection chargés de choisir, dans le champ immense de nos perceptions virtuelles, celles qui devront s’actualiser. Leibniz disait que chaque monade, et par conséquent, a fortiori, chacune de ces monades qu’il appelle des esprits, porte en elle la représentation consciente ou inconsciente de la totalité du réel. Je n’irais pas aussi loin ; mais j’estime