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LES PRINCIPES DE LA CONNAISSANCE HUMAINE

Mais la plus grande partie de la connaissance a été si étrangement embarrassée et obscurcie par l’abus des mots, par les modes généraux du discours qui ont servi à la transmettre, qu’il est presque permis de se demander si le langage a plus contribué à l’avancement des sciences qu’à leur retardement. Puisque l’entendement est sujet à ce point à se laisser tromper par les mots, je suis décidé à en faire dans mes recherches le moindre usage qu’il me sera possible[1] : quelques idées que j’aie à considérer, je tâcherai de me les représenter toutes nues, dans leur pureté, et de bannir de ma pensée, autant que j’en serai capable, ces noms qu’un long et constant usage leur a si étroitement liés. J’espère retirer de cette résolution les avantages suivants :

22. Premièrement, je suis sûr de m’affranchir de toutes les controverses purement verbales, espèces de mauvaises herbes dont la croissance a été le principal obstacle à la vraie et solide connaissance.

Secondement, j’ai là, ce semble, un moyen certain de me débarrasser du filet subtil des idées abstraites, qui a si misérablement entravé et embrouillé les esprits, et encore avec cette circonstance particulière que, plus un homme avait de finesse et de curiosité pour la recherche, plus il était exposé à être pris dans ce filet et à s’y voir engagé profondément et solidement retenu.

Troisièmement, aussi longtemps que je restreins mes pensées à mes idées propres, dépouillées des mots, je ne vois pas comment je pourrais être aisément trompé. Les objets que je considère, je les connais clairement et adéquatement. Je ne puis être déçu en pensant que j’ai une idée que je n’ai point. Il n’est pas possible que j’imagine que certaines de mes idées sont semblables ou dissemblables entre elles, quand elles ne le sont pas réellement. Pour discerner l’accord ou le désaccord entre mes idées, pour voir quelles idées sont renfermées dans une idée composée, et lesquelles ne le sont pas, rien de plus n’est requis qu’une perception attentive de ce qui se passe en mon entendement.

  1. On ne retrouve dans la 2e édition de Berkeley ni ce membre de phrase sur le moindre usage possible à faire des mots, ni le doute émis un peu plus haut sur la question de l’utilité des mots supérieure à leurs inconvénients. (Note de Renouvier).