Page:Berlioz - Mémoires, 1870.djvu/237

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défilé au bruit d’une cinquantaine de tambours, qui continuèrent à battre brutalement pendant toute l’exécution de l’apothéose, dont en conséquence il ne surnagea pas une note. La musique est toujours ainsi respectée en France, dans les fêtes ou réjouissances publiques, où l’on croit devoir la faire figurer... pour l’œil.

Mais je le savais, et la répétition générale, dans la salle Vivienne, fut ma véritable exécution. Elle produisit un effet tel, que l’entrepreneur des concerts institués dans cette salle m’engagea pour quatre soirées, où la nouvelle symphonie figura en première ligne, et qui rapportèrent beaucoup d’argent.

En sortant d’une de ces exécutions, Habeneck, avec qui j’étais rebrouillé je ne sais plus pourquoi, dit : «Décidément ce b... la a de grandes idées.» Huit jours après probablement il disait le contraire. Cette fois je n’eus point maille a partir avec le ministère. M. de Rémusat se conduisit en gentleman : les dix mille francs me furent promptement remis. Le compte de l’orchestre et du copiste soldé, il me resta deux mille huit cents francs. C’est peu, mais le ministre était content, et le public me prouvait à chacune des exécutions de ma nouvelle œuvre, qu’elle avait le don de lui plaire plus que toutes ses aînées et de l’exalter même jusqu’à l’extravagance. Un soir, dans la salle Vivienne, après l’apothéose, quelques jeunes gens s’avisèrent de prendre les chaises et de les briser contre terre en poussant des cris. Le propriétaire donna immédiatement ses ordres pour qu’aux soirées suivantes on eût à empêcher la propagation de cette nouvelle manière d’applaudir.

Au sujet de cette symphonie exécutée longtemps après dans la salle du Conservatoire avec les deux orchestres, mais sans le chœur, Spontini m’écrivit une longue et curieuse lettre, que j’ai eu la sottise de donner à un collectionneur d’autographes, et dont je regrette de ne pouvoir ici produire une copie. Je sais seulement qu’elle commençait ainsi : «Encore sous l’impression de votre ébranlante musique, etc., etc.»

C’est la seule fois, malgré son amitié pour moi, qu’il ait accordé des éloges à mes compositions. Il venait toujours les entendre sans m’en parler jamais. Mais non, cela lui arriva encore après une grande exécution de mon Requiem dans l’église de Saint-Eustache. Il me dit ce jour-là :

« — Vous avez tort de blâmer l’envoi à Rome des lauréats de l’Institut : vous n’eussiez pas conçu un tel Requiem sans le Jugement dernier de Michel-Ange.»

Ce en quoi il se trompait étrangement, car cette fresque célèbre de la chapelle Sixtine n’a produit sur moi qu’un désappointement complet. J’y vois une scène de tortures infernales, mais point du tout l’assemblée suprême de l’humanité. Au reste, je ne me connais point en peinture et je suis peu sensible aux beautés de convention.