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VI


Mon admission parmi les élèves de Lesueur. — Sa bonté. La chapelle royale.


Je m’étais mis à composer pendant ces cruelles discussions. J’avais écrit, entre autres choses, une cantate à grand orchestre, sur un poëme de Millevoye (Le Cheval arabe.) Un élève de Lesueur, nommé Gerono, que je rencontrais souvent à la bibliothèque du Conservatoire, me fit entrevoir la possibilité d’être admis dans la classe de composition de ce maître, et m’offrit de me présenter à lui. J’acceptai sa proposition avec joie, et je vins un matin soumettre à Lesueur la partition de ma cantate, avec un canon à trois voix que j’avais cru devoir lui donner pour auxiliaire dans cette circonstance solennelle. Lesueur eut la bonté de lire attentivement la première de ces deux œuvres informes, et dit en me la rendant : «Il y a beaucoup de chaleur et de mouvement dramatique là-dedans, mais vous ne savez pas encore écrire, et votre harmonie est entachée de fautes si nombreuses qu’il serait inutile de vous les signaler. Gerono aura la complaisance de vous mettre au courant de nos principes d’harmonie, et, dès que vous serez parvenu à les connaître assez pour pouvoir me comprendre, je vous recevrai volontiers parmi mes élèves.» Gerono accepta respectueusement la tâche que lui confiait Lesueur ; il m’expliqua clairement, en quelques semaines, tout le système sur lequel ce maître a basé sa théorie de la production et de la succession des accords ; système emprunté à Rameau et à ses rêveries sur la résonnance de la corde sonore[1]. Je vis tout de suite, à la manière dont Gerono m’exposait ces principes, qu’il ne fallait point en discuter la valeur, et que, dans

  1. Qu’il appelle le corps sonore, comme si les cordes sonores étaient les seuls corps vibrants dans l’univers ; ou mieux encore, comme si la théorie de leurs vibrations était applicable à la résonnance de tous les autres corps sonores.