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Page:Berlioz - Mémoires, 1870.djvu/377

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Avant de quitter Vienne, je manifestai le désir d’être présenté à M. le prince de Metternich : ceux mêmes de mes amis qui se trouvaient les mieux placés pour me procurer cet honneur, se montrant alors vraiment embarrassés de ma demande, je fus sur le point d’y renoncer. Il s’agissait de voir un officier lié avec un conseiller, qui parlerait à un membre de la chancellerie de cour, assez puissant pour m’introduire auprès d’un secrétaire d’ambassade, qui obtiendrait de l’ambassadeur qu’il voulût bien parler à un ministre, afin qu’il me présentât. Je trouvai le circuit infiniment trop prolongé, et l’idée me vint enfin de remplacer à moi tout seul l’officier, le conseiller, le chancelier, le secrétaire, l’ambassadeur et le ministre, en me présentant moi-même. Mes amis, en me voyant déterminé à tenter l’aventure, m’ont très-probablement, in petto, traité de fou, ou tout au moins de Français et demi. Quoi qu’il en soit, bravant l’étiquette autrichienne ou l’opinion que l’on se fait à Vienne de ses rigueurs, je m’acheminai vers le palais du prince. Je monte, je trouve dans le salon un officier de garde, je lui présente ma carte en lui exprimant le désir qui m’amenait. Il entre chez le prince, et revient un instant après m’annoncer que Son Altesse allait être libre dans quelques minutes et qu’elle voulait bien me recevoir. Je fus admis, en effet, sans autre préambule. Le prince se montra d’une amabilité parfaite, me fit beaucoup de questions sur la musique et surtout sur ma musique dont il me parut que Son Altesse, qui n’en avait point encore entendu alors, s’était fait une fort drôle d’idée. Je m’efforçai de lui en donner une autre. Bref, je me retirai, enchanté de l’accueil que j’avais reçu, prodigieusement étonné qu’il fût si facile de brutaliser ainsi les lois de l’étiquette allemande, et tout fier d’avoir rempli les fonctions d’officier, de conseiller, de chancelier, de secrétaire d’ambassadeur et de ministre, sans embarras, pendant quelques instants. Et voilà comment je reconnus encore une fois la vérité de la parole évangélique : «Frappez et il vous sera ouvert», et le tact exquis avec lequel certains princes savent dire aussi parfois : Sinite parvulos venire ad me. À la condition, bien entendu, que les parvuli soient étrangers, quelque peu clercs, et appartiennent à cette classe, curieuse à voir de près, de gens inutiles qu’on nomme aujourd’hui poëtes, musiciens, peintres, artistes enfin, et qu’on désignait au moyen âge par les dénominations assez malhonnêtes de ménestrels, trouvères, histrions et bohémiens.

Vous vous étonnerez peut-être, mon cher Humbert, que je n’aie point usé de ma puissante influence pour me faire admettre à présenter mes hommages à la famille impériale, et vous aurez raison. Il y a eu en effet à ma réserve une raison d’état que je m’en vais vous dire très-confidentiellement. Il m’était revenu, dès les premiers temps de mon séjour à Vienne, que l’Impératrice, cet ange de piété, de douceur et de dévouement, avait de moi une opinion encore plus extraordinaire que celle du prince Metternich sur ma musique. Certains passages un peu trop sauvages de style de mon Voyage en Italie, habilement commentés