Page:Berlioz - Mémoires, 1870.djvu/404

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redoutable ennemi, selon qu’il est ou non pourvu de ces rares qualités, il s’ensuit, dis-je, qu’il y a encore un talent indispensable pour le conducteur-instructeur-organisateur, le talent de lire la partition.

Celui qui se sert d’une partition réduite ou d’un simple premier violon, comme cela se pratique de nos jours en maint endroit, en France surtout, d’abord ne peut découvrir la plupart des erreurs de l’exécution ; il s’expose ensuite, en signalant une faute, à ce que le musicien auquel il s’adresse, lui réponde : «Qu’en savez-vous ? ma partie n’est pas sous vos yeux !» Et c’est là le moindre des inconvénients de ce déplorable système[1].

D’où je conclus que pour former de véritables et complets directeurs d’orchestre, il faut, par tous les moyens, les rendre familiers avec la lecture de la partition ; et que ceux qui n’ont pu parvenir à vaincre cette difficulté, fussent-ils, d’ailleurs, savants en instrumentation, compositeurs même, et rompus en outre au mécanisme des mouvements rhythmiques, ne possèdent que la moitié de leur art.

J’ai à vous parler maintenant de l’Académie de chant de Prague. Organisée à peu près comme toutes celles d’Allemagne, elle ne se compose guère que de chanteurs amateurs appartenant à la classe moyenne de la société. C’est M. Scraub jeune qui la dirige. Elle forme un chœur de quatre-vingt-dix voix environ. La plupart de ses membres sont musiciens, lecteurs et doués de voix fraîches et vibrantes. Le but de l’institution n’est pas, comme celui de plusieurs autres académies du même genre, l’étude et l’exécution des œuvres anciennes à l’exclusion absolue de toutes les productions contemporaines. Celles-là, qu’on me pardonne l’expression, ne sont que des coteries musicales, des consistoires, où, sous prétexte d’un enthousiasme réel ou simulé pour les morts, on calomnie tout doucement les vivants qu’on ne connaît point ; où l’on prêche contre Baal en vouant à l’exécration tous les prétendus veaux d’or de l’harmonie et leurs adorateurs. C’est dans ces temples du protestantisme musical, que se conserve, hargneux, jaloux et intolérant, le culte, non pas du beau quel que soit son âge, mais du vieux quelle que soit sa valeur. Il y a là une Bible et les œuvres de deux ou trois évangélistes que les fidèles lisent, relisent exclusivement, sans relâche, commentant, interprétant de mille façons des passages dont le sens direct et réel est en soi parfaitement clair ; trouvant une idée mystique et profonde là où le reste de l’humanité n’aperçoit qu’horreur et que barbarie, et toujours prêts à chanter Hosanna ! lors même que le dieu de Moïse leur ordonne d’écraser la tête des petits enfants contre la muraille, de faire lécher leur sang par les chiens, et défend qu’à cet aspect une larme de pitié mouille les yeux de son peuple !

  1. Habeneck, en dirigeant les concerts du Conservatoire, se servait d’une simple partie de premier violon ; et, en cela ses successeurs n’ont pas manqué de l’imiter.