Page:Berlioz - Mémoires, 1870.djvu/473

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j’insérai même en entier le prospectus de M. Panseron, mais sous ce titre :

cabinet de consultations pour les mélodies secrètes.

Quelques années auparavant M. Caraffa, avait fait représenter un opéra intitulé la Grande-Duchesse. Cet ouvrage n’eut que deux représentations. Après la deuxième, ayant à en rendre compte, je me bornai à citer les paroles célèbres de Bossuet dans son oraison funèbre d’Henriette d’Angleterre : Madame se meurt, Madame est morte ! M. Caraffa ne m’a pas pardonné. Il faut avouer que je lâchais aussi parfois dans la conversation des paroles qu’on pouvait prendre pour de véritables coups de poignard. Un soir, j’étais chez mon ami d’Ortigue avec quelques personnes, parmi lesquelles se trouvaient M. de Lamennais et un sous-chef du ministère de l’intérieur. La conversation s’établit sur le mécontentement que chacun éprouve de la condition dans laquelle il est placé. M. P..., le sous-chef, ne se trouvait pas mécontent de la sienne : «J’aime mieux, dit-il, être ce que je suis que toute autre chose. — Ma foi, répliquai-je étourdiment, je ne suis pas comme vous, et j’aimerais mieux être toute autre chose que ce que vous êtes.»

Mon interlocuteur eut la force de ne rien répondre, mais je suis bien sûr que nos éclats de rire et ceux de M. de Lamennais surtout lui sont restés sur le cœur.

J’ai, depuis quelques années, de nouveaux ennemis dus à la supériorité qu’on veut bien m’accorder dans l’art de diriger les orchestres. Les musiciens, par le talent exceptionnel qu’ils déploient sous ma direction, par leurs démonstrations chaleureuses et par les paroles qu’ils laissent échapper, m’ont rendu hostiles en Allemagne presque tous les chefs d’orchestre. Il en fut longtemps ainsi à Paris. Vous verrez dans mes Mémoires les étranges effets du mécontentement d’Habeneck et de M. Girard. Il en est de même à Londres, où M. Costa me fait une guerre sourde partout où il a le pied.

J’ai dû combattre une belle phalange, vous en conviendrez. N’oublions pas les chanteurs et les virtuoses, que je rappelle a l’ordre d’une assez rude façon, quand ils se permettent d’irrévérencieuses libertés en interprétant les chefs-d’œuvre ; ni les envieux, toujours prêts à se courroucer si quelque chose se manifeste avec un certain éclat.

Mais cette vie de combat, l’opposition se trouvant réduite, comme elle l’est aujourd’hui, à des proportions raisonnables, offre un certain charme. J’aime à faire de temps en temps craquer une barrière, en la brisant au lieu de la franchir. C’est l’effet naturel de ma passion pour la musique, passion toujours incandescente et qui n’est jamais satisfaite qu’un instant. L’amour de l’argent ne s’est