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applications de la méthode expérimentale.

pris repousser tous ces faits, mais je veux seulement dire qu’ils doivent être gardés en réserve, en attendant, comme faits bruts, et ne pas être introduits dans la science, c’est-à-dire dans le raisonnement expérimental, avant qu’ils soient fixés dans leur condition d’existence par un déterminisme rationnel. Autrement on serait arrêté à chaque instant dans le raisonnement expérimental ou bien conduit inévitablement à l’absurde. Les exemples suivants, que je pourrais beaucoup multiplier, prouveront ce que j’avance.

Premier exemple. — J’ai fait, il y a quelques années[1], des expériences sur l’influence de l’éther sur les sécrétions intestinales. Or, il m’arriva d’observer à ce propos que l’injection de l’éther dans le canal intestinal d’un chien à jeun, même depuis plusieurs jours, faisait naître des chylifères blancs magnifiques, absolument comme chez un animal en pleine digestion d’aliments mixtes dans lesquels il y a de la graisse. Ce fait, répété un grand nombre de fois, était indubitable. Mais quelle signification lui donner ? Quel raisonnement établir sur sa cause ? Fallait-il dire : L’éther fait sécréter du chyle, c’est un fait ? Mais cela devenait absurde, puisqu’il n’y avait pas d’aliments dans l’intestin. Comme on le voit, la raison repoussait ce déterminisme absurde et irrationnel dans l’état actuel de nos connaissances. C’est pourquoi je cherchais où pouvait se trouver la raison de ce fait incompréhensible, et je finis par voir qu’il y avait une cause d’erreur, et que ces chylifères provenaient

  1. Claude Bernard, Leçons sur les effets des substances toxiques et médicamenteuses, p. 428.