Page:Bibesco - La Question du vers français, 1896, éd3.djvu/17

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du fils. De même la césure, qui se montre dans des poèmes du dixième siècle, prend, elle aussi, droit de cité dans les vers. Vienne, avec une culture plus raffinée de l’oreille et des organes vocaux, le besoin d’accentuer certaines syllabes plus que d’autres, et l’accent tonique, qui correspond si admirablement au temps fort de la mesure musicale, sera un élément nouveau et précieux. Plaçons en tête de tous ces éléments le nombre[1] qui devait forcément apparaître et se développer sur les ruines de la quantité antique, et le vers français se trouvera constitué en ses parties essentielles bien avant la Renaissance. Qu’on constate là un travail de sélection progressif, intelligent, très intelligent, par lequel le vers français a saisi et persisté, après des crises passagères, à reprendre tous les sucs nourriciers, tous les facteurs indispensables à sa vie : cela est évident ; qu’il y ait là une admirable application de la loi du progrès à la forme poétique, c’est probable ; mais rien ne ressemble moins à l’empirisme, rien ne ressemble davantage au système, en prenant cet excellent vocable dans son acception primitive : un assemblage de parties destinées à constituer un tout.

L’empirisme est chaotique ; le système est, par essence, ordonnateur. L’empirisme se compose d’un tohu-bohu de faits ; les systèmes, de règles, lentement, harmonieusement adoptées. L’empirisme, vivant de disparates, tâtonne pour aboutir à des

  1. La litanie du Dies iræ ne me semble pas avoir assez appelé l’attention des historiens du Vers français. Elle pivote entièrement autour de trois principes : la rime la plus riche, la plus stridente répétée trois fois par strophe ; la coupe au milieu de chaque octosyllabe, la coupe nouvelle qui a détrôné la césure ; le nombre exact de huit syllabes par vers qui a détrôné la quantité. Le français n’existait pas au moment de la composition du Dies iræ ; mais n’est-il pas évident que le vers français plonge ses racines les plus profondes dans ce vieux chant d’Église ?