Page:Blanc - Histoire de dix ans, tome 1.djvu/303

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’abnégation des pauvres. L’admiration était unanime et bruyante. On racontait qu’un ouvrier était allé déposer à la préfecture de police un vase en vermeil et n’avait pas même voulu dire son nom ; qu’un autre avait trouvé sous le guichet du Louvre un sac de trois mille francs, qu’il s’était empressé de remettre à la commune. On disait beaucoup valoir ce mot d’un malheureux artisan : « L’égalité devant la loi, à la bonne heure ; mais l’égalité de fortune, c’est impossible. » Enfin, oh ne tarissait pas sur la sagesse de ce peuple qui avait fusillé des voleurs pris en flagrant délit, et on exagérait à dessein le nombre de ces exécutions populaires. Mais on ne disait pas tout. Un homme ayant été arrêté pour avoir dérobé une pièce d’argenterie de très-mince valeur, on le traîna sous une arche du pont d’Arcole. Ce malheureux fondait en larmes et criait : « Quoi ! la mort pour si peu de chose ! C’est la misère qui m’a égaré. Grâce ! j’ai une famille. Qu’on me laisse embrasser, du moins, une dernière fois, ma femme et mes enfants. Il n’y a donc personne parmi vous qui ait souffert de la faim ? Grâce ! grâce ! » On le fit mettre à genoux et on le fusilla. Cette justice sauvage n’eut rien de spontané de la part de ceux qui en furent les instruments. L’ordre du meurtre était venu de l’Hôtel-de-Ville.

Du reste, tout ce qu’on disait du désintéressement du peuple était vrai, et il n’y avait pas de raison, alors, pour qu’on s’abstînt d’encourager des vertus dont on avait besoin !

À la chute du jour, M. Charras conduisit à l’Hôtel-de-Ville une partie de ceux qui avaient emporté