Page:Blanc - Histoire de dix ans, tome 2.djvu/397

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sur la place du Kremlin, pour voir, comme à l’ordinaire, défiler la parade, il arriva que le bataillon qui devait être passé en revue faisait partie du régiment dont Constantin était le chef. Le titre de chef d’un régiment en Russie étant purement honoraire, et pouvant être donné même à des princesses ; il n’y avait pas obligation pour le grand-duc d’aller prendre rang. L’émotion fut donc universelle quand on le vit se placer derrière le maréchal Sacken et à la droite du premier grenadier de la seconde ligne. Le bataillon s’ébranla. Sur les gradins disposés pour la prochaine cérémonie s’agitait une foule inquiète de spectateurs. À l’extrémité de la place du Kremlin, l’empereur attendait, immobile, veillant sur lui-même, mais le cœur plein de trouble. Constantin traversa toute la place, conservant son rang, et emboitant le pas. Arrivé devant celui qu’il faisait empereur, il élevait respectueusement la main pour le salut militaire : Nicolas lui saisit le bras, et Constantin se courbant pour baiser la main de son frère, devenu son maître, l’empereur l’attira vivement sur sa poitrine : ils confondirent leurs embrassements. Alors, beaucoup se mirent à verser des larmes, et le peuple, touché de la grandeur de ce spectacle, poussa des acclamations qui se prolongèrent long-temps dans la place du Kremlin. Le lendemain, dans l’église le grand-duc laissait vide le trône préparé pour lui, et allait se ranger modestement à côté du grand-duc Michel. Jamais investiture n’avait été plus touchante et plus héroïque.

On conçoit quel démenti donnait à l’hypothèse d’un lâche assassinat le souvenir de semblables