Page:Boccace - Décaméron.djvu/274

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sans rien dire, et après avoir tout ordonné pour leur départ, ils quittèrent Messine et s’en allèrent à Naples. La jeune fille ne cessant de se plaindre et demandant toujours son pot de fleurs, mourut en se lamentant ; et ainsi se termina sa mésaventure d’amour. Au bout d’un certain temps, cette histoire ayant été connue de beaucoup de gens, quelqu’un composa cette chanson que l’on chante encore aujourd’hui, c’est-à-dire :

   Quel est le mauvais chrétien
     Qui m’a dérobé le pot de fleurs
     Où était mon basilic de Salerne ! etc[1].

  1. Boccace n’a pas donné la chanson en entier parce que, de
    son temps, elle était sue de tout le monde. Elle était écrite en
    dialecte sicilien. En voici la traduction d’après le texte qui se
    trouve dans un manuscrit du quatorzième siècle :
    <poem>
       Quel est le mauvais chrétien
         Qui m’a dérobé le pot de fleurs
         Où était mon basilic de Salerne !
         Il avait poussé avec vigueur.
         C’est moi qui le plantai de ma main
         Le jour même de ma fête
         Qui vole le bien d’autrui, commet une lâcheté.

       Qui vole le bien d’autrui, commet une lâcheté,
         Et le péché est très grand.
         Ô malheureuse ! qui m’étais
         Semé un pot de fleurs ?
         Il était si beau, que je m’endormais à son ombre.
         Tout le monde me l’enviait ;
         Il m’a été volé, et devant ma porte.

       Il m’a été volé, et devant ma porte :
         Et j’en ai été très douloureusement affligée.
         Malheureuse ! que ne suis-je morte.
         Moi qui m’y étais si chèrement attachée !
         C’est seulement l’autre jour que je fis mauvaise garde,
         À cause de messire que j’aime tant.
         Je l’avais tout entouré de marjolaine.

       Je l’avais tout entouré de marjolaine
         Pendant le beau mois de mai.
         Je l’arrosais trois fois par semaine :
         Aussi, je vis comme il prit bien.
         Maintenant, il est certain qu’on me l’a volé.

       Maintenant, il est certain qu’on me l’a volé ;
         Je ne puis plus le cacher,
         Si j’avais su d’avance
         Ce qui devait m’arriver,
         Je me serais endormie sur le seuil de ma porte,