Page:Boissière - Propos d’un intoxiqué, 1909.djvu/45

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un vaste lit de camp. Notre approche les rassure ; l’une d’elles frotte une allumette, saisit de la main gauche le bambou d’une pipe à eau — une humble pipe de coolie — et approche en riant le brun orifice de ses lèvres bordées par la chique d’un fil écarlate, un trait rouge pur sur le rose fané de la muqueuse. Et tandis que l’eau glougloute et qu’un nuage de fumée monte des lèvres de la congaï, deux grosses lèvres de bonne fille, sa compagne nous désigne du doigt un plateau de trac supportant la lampe à opium et les divers ustensiles nécessaires à la préparation des pipes — les objets sacrés indispensables à l’accomplissement du Rite. Un Annamite est couché sur le côté gauche. D’une main, il maintient le tuyau de bambou immobile de sa bouche à la lampe, et, pinçant entre le pouce et l’index de sa main droite une aiguille d’acier bruni — une aiguille à tricoter, jurerait un novice — il règle le tirage de sa pipe avec la pointe de l’aiguille, ménageant un passage à l’air à travers la prise d’opium. Il nous salue de la tête ; puis il écarte de ses lèvres le bout d’ivoire jauni adapté au bambou, se redresse, reste un instant sans respirer afin de mieux s’assimiler l’opium humé d’un seul trait et d’une longue haleine ; enfin, il laisse échapper, en nous adressant la parole, quelques flocons de fumée, rares et peu denses, alourdis d’acide carbonique, dépouillés