Page:Boissière - Propos d’un intoxiqué, 1909.djvu/63

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un état de douce somnolence qui rend très pénibles le mouvement et la parole ; mais de là à tomber ivre mort !… D’ailleurs, même pour obtenir ce résultat, il convient de forcer la dose d’opium consommée chaque jour, de mois en mois ; aussi beaucoup de fumeurs, effrayés de cette progression croissante, préjudiciable à la santé comme à la bourse, se contentent du nombre de pipes nécessaires pour supprimer la souffrance qu’entraînerait la privation ; ils jouissent de l’opium comme d’une habitude ; ils se plaisent à la position horizontale, aux lentes causeries, aux longues oisivetés, aux lectures solitaires.

Malheureusement, ils n’enrayent de cette manière que lorsque la quantité d’opium quotidiennement consommée est déjà trop forte — quarante pipes environ — et les tristes conséquences de l’excès ne sont plus compensées par les mornes voluptés de l’ivresse.

Je connais un interprète qui ne se préoccupa jamais d’enrayer. Il consomme en sept jours une boule de vingt-deux piastres, soit plus de trois cents pipes jour. Entre les heures de bureau trois boys sont constamment occupés à faire grésiller pour lui sur la lampe les gouttelettes noires, conjuratrices des crampes et des spasmes douloureux. Il me souvient de l’avoir vu, sur son lit de camp : sur sa longue poitrine osseuse, nue jusqu"à la ceinture, s’étalait un