Page:Bonnerot - Romain Rolland sa vie son oeuvre.djvu/70

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les doctrines consacrées ; il méprise les recettes de métiers apprises dans les écoles, comme ces méthodes toutes faites qui mènent à l’érudition et donnent le talent : il faut dire la vérité, c’est là sa seule méthode, sa loi, sa discipline de travail et son secret. Prêt à combattre durement, dans la Foire sur la Place, ceux dont l’indigne succès dégrade et trahit les destinées du peuple de France, il écrira le Dialogue de l’auteur avec son ombre pour mieux crier et faire entendre ce cri : vérité. Jean-Christophe est un « pur », il a le droit et le devoir de parler, sa sincérité excusera toujours son fanatisme, parfois injuste. Il ne peut pas fermer les yeux pour ne pas voir le mal, il veut le regarder, s’en exalter ; car il y a bataille à livrer pour la vie et l’honneur de la race. Qu’importe si le bruit trouble quelques braves gens qui rêvent sous l’ombre illusoire de leurs lauriers, en se berçant de vieux mots menteurs et de fausses pensées ! « Qui a senti l’âme chevillée au corps de cette race qui ne veut pas mourir peut et doit hardiment mettre à nu ses vices et ses ridicules, afin de les combattre, — afin de combattre surtout ceux qui les exploitent et qui en vivent... Lutter, c’est faire le mal même pour faire le bien. » (La Foire sur la Place, pp. xxiii et xxvi).

Et Jean-Christophe se lança dans la bataille. Il frappa à droite, à gauche, sans arrêt, sans faiblesse. Feuilletonnistes musicaux ou critiques littéraires, faiseurs de romans ou cabotins de théâtre, historiens qui vendaient l’histoire ou philosophes si subtils qu’ils ne se comprenaient pas entre eux, tous les barbouilleurs de papiers et les grands hommes chauves aux doigts tachés d’encre, tous furent blessés, tous se reconnurent, aucun n’osa protester. C’était mieux qu’un livre de polémique : un acte de courage et de bonne foi. Le succès fut immédiat, profond, durable.