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Page:Boué -Le Roi des aventuriers, 1932.djvu/10

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— Je comprends, monsieur le chevalier, que vous ayez oublié un nom aussi humble ; mais permettez-moi de vous rappeler que c’est moi que vous avez vu boulevard Bonne-Nouvelle et que vous m’avez invité à me rendre à l’Hôtel de Provence.

— Monsieur, dit l’étranger d’un ton cassant, il y a méprise. Je ne connais pas l’Hôtel de Provence, je ne vous ai jamais vu avant ce jour et je ne suis pas chevalier. Je suis le comte de Beaulieu.

— Mais…

— N’insistez pas, je vous prie, je vous l’ai dit, il y a méprise.

Et l’étranger tourna les talons.

« Cette fois, je n’y comprends plus rien, pensa M. Corbier. Mais j’en aurai le cœur net. Je ne suis pourtant pas fou ! »

Et pendant une heure, il suivit l’inconnu qui avait dit s’appeler, cette fois, le comte de Beaulieu. Il le vit aller au devant d’un homme âgé et se promener avec lui tout en parlant avec animation.

Puis les deux inconnus, après avoir parcouru diverses artères, s’engagèrent dans le boulevard St-Germain. Arrivés là, ils se séparèrent : le vieillard salua avec respect le comte de Beaulieu et celui-ci pénétra dans un somptueux hôtel.

M. Corbier attendit pendant une heure sans le voir sortir.

— Il est chez lui, sans doute, pensa-t-il. Mais pour quelle raison dit-il aujourd’hui s’appeler le comte de Beaulieu et affirme-t-il ne pas me connaître ? Que de mystères !

Le maître-maçon désespéra dès lors de l’appui que lui avait été promis le chevalier d’Arsac.

Mais une nouvelle surprise l’attendait.

Le surlendemain, il allait s’engager sur le Pont-Neuf, lorsqu’il revit l’homme mystérieux qui avait dit une première fois s’appeler le chevalier d’Arsac et, la seconde fois, être le comte de Beaulieu.

Déçu de l’accueil qui lui avait été fait, M. Corbier se borna à saluer l’étranger et il allait continuer son chemin lorsque le jeune homme vint à lui la mine accueillante :

— Mordious, mon ami, lui dit-il, pourquoi donc n’êtes-vous pas venu me voir ?

— Mais, monsieur le comte, j’avais cru comprendre, quand je vous ai revu avenue des Champs-Élysées que…

— Vous m’avez revu avenue des Champs-Élysées, dites-vous ?

— Avant-hier…

— Avant-hier ! Mais je n’y suis plus passé depuis mon retour ici. J’ai fait de longs voyages en Amérique et je ne suis à Paris que depuis le 6 de ce mois. C’est vous dire que je n’ai plus vu l’avenue des Champs-Élysées depuis cinq ans.

— Je ne comprends plus rien.

— Expliquez-vous donc. Mais, que vois-je, vous portez un bras en écharpe ? Auriez-vous été blessé ? Parlez donc !

Sur l’invitation du chevalier, le maître-maçon raconta les événements terribles auxquels il avait été mêlé.

Quand il eût terminé son récit, le chevalier s’écria :

— Si je ne voyais votre blessure, je mettrais en doute ce que vous venez de me conter, tant ces faits semblent invraisemblables !

Je vous avoue, du reste, que je vous avais cru un peu fou. Mais désormais je vous prends sous mon égide et je vous prie de croire que — quelque puissants que soient vos mystérieux ennemis — ils ne se frotteront pas impunément au chevalier Gaston Tarrail de Bayard d’Arsac de Savignac. Et, pour commencer, vous allez avoir l’honneur, mon ami, de me conduire là où habite ce comte de Beaulieu qui a l’audace de me ressembler d’une si insolente façon. Mordious ! le chevalier d’Arsac est unique ! Il ne faut pas qu’il y en ait deux !

— Mais, monsieur le chevalier, si…

— S’il y en a deux, allez-vous dire ? Ah ! Capédious ! en ce cas là il faut que l’autre disparaisse…