Page:Boué -Le Roi des aventuriers, 1932.djvu/9

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
Feuilleton du COURRIER DE SION
— 5

— En ce cas vous demanderez tout simplement le chevalier d’Arsac. C’est ainsi que je permets qu’on m’appelle dans l’intimité. Je regrette, ajouta-t-il, avec un sourire, de ne pouvoir vous donner ma carte de visite. Je suis un peu le compatriote de Cyrano de Bergerac : lui oubliait ses gants sur la face de ses adversaires ; mes cartes à moi se trouvent dans les poches de mes ennemis, à six pieds sous terre.

Et le chevalier d’Arsac, ayant salué son interlocuteur, continua son chemin de son pas calme et majestueux de conquérant en promenade.

Le maître-maçon le regarda partir :

— C’est étonnant ! se disait-il. C’est bien l’homme que j’ai vu en cette nuit tragique et dont les traits resteront à jamais gravés dans ma mémoire. Oui, c’est bien ce visage que je n’oublierai jamais et que je ne pourrais confondre. Pour quelles mystérieuses raisons ce chevalier d’Arsac nie-t-il être la victime que j’ai vue baignée de sang. Il y a dans tout cela un secret terrible et inexplicable.


Et de deux !


Le soir même, M. Corbier était assis à table au milieu de sa femme et de ses deux fillettes, dans la chambre à manger dont les deux fenêtres s’ouvraient sur l’impasse Clignancourt, lorsque tout à coup un éclair traversa la pièce, aussitôt suivi d’une détonation et d’un bruit de vitre brisée.

Le maître-maçon poussa un cri de douleur tandis que sa femme et ses enfants se levaient, effrayés.

Quelqu’un avait tiré un coup de revolver à travers une des fenêtres.

Un jet de sang coula sur la nappe blanche, M. Corbier avait été blessé au bras droit au moment où il étendait la main vers une de ses fillettes.

Recouvrant son sang froid il courut à la porte, en criant.

— À l’assassin.

Il constata que l’impasse était déserte. Sa femme, qui était accourue derrière lui, le fit rentrer. Elle lui donna les premiers soins que nécessitait son état, pendant qu’une voisine allait quérir un médecin et prévenir la police.

Une heure après le praticien avait extrait la balle. Il déclara que la blessure n’était pas grave ; mais il ordonna deux jours de repos absolu au maître-maçon. Quant à la police, elle fit des recherches qui n’eurent aucun résultat. Personne dans l’impasse Clignancourt n’avait vu fuir le meurtrier.

M. Corbier reconnut une fois encore, avec un réel effroi, la façon de faire adroite de la Main mystérieuse.

Deux jours après, il put sortir, le bras droit en écharpe. Il était toujours incapable de travailler ; mais il pouvait faire quelques promenades.

Cet incident avait retardé la visite qu’il comptait faire au chevalier d’Arsac.

Or, un matin qu’il se promenait dans l’avenue des Champs-Élysées, il vit descendre d’une automobile l’étranger qu’il avait rencontré boulevard Bonne-Nouvelle.

Heureux de revoir l’homme qui avait promis de le protéger, il courut à lui en disant :

— Pardonnez-moi, Monsieur le chevalier, de ne pas encore m’être rendu à votre aimable invitation…

L’étranger le regarda avec surprise, et répondit :

— Mais, monsieur, je ne vous connais pas

— Je suis Gustave Corbier, maître-maçon.

— Ce nom ne m’apprend rien.